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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/12

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la mère et le fils

— Parce que j’avais cru… Tu étais si petit ! Mais, depuis, ceux que j’ai vus m’ont épouvantée.

— Il ne fallait pas fouiller dans mes papiers ! C’est dégoûtant d’avoir osé faire ça ! Je vous l’ai déjà dit !

— Tu cherches encore une scène, je le vois bien. Ah ! les scènes !… les scènes !… Tu n’as donc aucune pitié dans le cœur ?… Qu’est-ce qu’il te faut donc ?… Tu veux me tuer ?…

— Il vaudrait mieux me tuer, moi. Quel débarras ! Pour une fois que je viens vous soigner, j’aggrave votre état. Je ne suis pas mes frères ! Comme ils seraient charmants pour vous, eux ! Ils sont encore charmants tout morts qu’ils sont. Mais moi !… Je ne suis là que pour vous tourmenter, d’une manière ou d’une autre. Jamais vous n’avez eu la paix. Je ne peux pas, je ne peux pas rester tranquille près de vous, vous comprenez ? Je vous ferai tout le temps, tout le temps des misères… des scènes, comme vous dites. Alors, il vaut mieux que je m’en aille. Je ne vous sers à rien, au contraire. Je mange tant ! Vous avez vos dernières petites rentes pour vivre ici, dans notre maison moisie, bien pauvrement, mais enfin… Voilà la guerre finie. L’armistice est signé… J’ai quinze ans… Je peux bien gagner ma vie. Si j’étais un ouvrier, je la gagnerais déjà depuis longtemps !

— Écoute !… Écoute !… Va me chercher Hortense !… J’étouffe !… Où est l’éther ?…

— Tenez, tenez ! Voilà l’éther. Je m’en vais. Vous allez vous porter bien tout de suite, même sans Hortense… Vous arrachez votre main ?… Je ne voulais pas vous faire du mal… Bonne nuit, maman !

Dans le couloir aux petits verres de couleur, le clair de lune intermittent plaçait des taches fantasques. Il allait vers sa chambre, mais il rebroussa chemin et descendit sans bruit l’escalier, allant du côté du parc noir ravagé d’averses.