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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/13

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la mère et le fils

L’attendant au bas de l’horizon, sous des amas de mauvais temps, l’aube était jaune et comme infernale.

Ici, la haie qui arrête le parc. De l’autre côté, ce sont les bois qui commencent, — leurs bois, — vendus depuis la guerre.

Ira-t-il jusqu’à la prairie (qui n’est plus à eux non plus) où ses galopades solitaires avaient lieu dans l’aurore ? Au milieu de cette prairie, quand commençaient les séances de voltige, oh ! les cris d’épouvante que poussaient François et Marcel, ces grands couards ! Mais, au fond, ça les amusait de voir Casse-Gueule, dit Irénée, faire le cirque, et rentrer après avec ses boucles dans le dos pour figurer les filles à la maison.

« Tout de même, ils avaient un certain chic, car ils ne m’ont jamais complètement vendu. On ne s’aimait pas tant que ça, pourtant ! Était-ce du chic ? À leur âge, ils avaient la responsabilité de leur petit frère, et maman les aurait blâmés de me monter la tête comme ils faisaient et de m’apprendre tout ce qu’ils n’avaient jamais osé faire eux-mêmes dans les manèges. Si maman avait su ça ! J’avoue que quelquefois, j’allais un peu loin ! Eux ils rigolaient. Et quand, sous le hangar, les jours de pluie, je faisais la roue et le saut périlleux, ou quand je sautais du premier étage, ils se gardaient bien de m’en empêcher ! Il y a eu sur ma tête bien des bosses inexplicables, et j’ai bien souvent caché mes genoux troués, par peur d’avoir des explications à donner.

« Ici… Même à moi-même je ne pourrais dire ce qu’il y avait ici de si épatant. Il ne s’y est jamais rien passé. Mais c’est à cause de la vieille statue et des arbres qui ont trop poussé. À cet endroit-là, tout ce qu’on ne voit pas, tout ce qu’on n’entend pas, tout ce qui épouvante et tout ce qu’on aime est passé par ma tête.