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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/31

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la mère et le fils

tournant à la cuisine, il dut s’arracher du salon, sa place légitime. Ses nerfs d’enfant vierge frémissaient. Il était comme foudroyé par cette inattendue révélation d’un amour qu’il sentait plus véhément et plus beau qu’aucun lyrisme. Il tressaillit péniblement à la voix d’Albertine :

— Eh ben ?… Avez-vous vu ce que je vous avais dit ?

— Oui… murmura-t-il, grisé.

Alors, prononçant fort distinctement chaque mot, même le dernier, la cuisinière conclut le plus simplement du monde :

— Moi, tout ça, voyez-vous, c’est des histoires de…

Le temps a passé.

Un soir, en se couchant…

« Voilà dix mois que je m’amuse bien. Je vais demain, sans crier gare, quitter ma troupe d’Opéra, sur un prétexte péremptoire, et revenir chez moi. J’ai appris des choses et j’ai, en outre, plus de mille francs dans ma poche, gages et pourboires.

« Je suis maître, à présent, de faire souffrir maman, avec ça, tant qu’il me plaira. Elle aura de quoi questionner, cette fois. « Où as-tu pris cet argent ? D’où viens-tu ? Qu’est-ce que tu as fait ? »

« Je la laisserai croire pendant un bout de temps que j’ai volé. Quand elle saura que ce n’est pas vrai, elle avalera plus facilement la vérité. Domestique !… Ça leur apprendra à me traiter en galopin ! Ça leur montrera que j’ai de la suite dans les idées, puisqu’ils me trouvent trop démocrate, anarchiste, comme dit maman. Ah ! ah !… Elle n’aura plus le temps de me demander : « À quoi penses-tu ? » Elle fera bien, car je crois que je la tuerais. Et si mes oncles veulent s’en mêler, on verra ! Ce n’est pas pour rien que, pendant ces dix mois humiliés, je me suis renforcé dans l’orgueilleuse habitude de la liberté intérieure… »