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rédalga

Quand il eut, assez facilement, griffonné sur l’ardoise, en mauvais anglais : Did he husband love your verses ?… il fut étonné par le rictus amer qui tordit la bouche de Mary Backeray. Elle lui reprit fiévreusement l’ardoise pour la réponse.

Et le pénible travail recommença, véritable conversation avec une table tournante. Mais, après la ridicule tâche d’écolier, lorsque se fut, à la longue, formée sur l’ardoise cette phrase terrifiante : « Quand mon premier livre parut, mari me fouettée… » longtemps le sculpteur regarda son amie en lui tenant les mains.

L’horreur de cette révélation sortie de leur amusement d’enfants expliquait peut-être toute la vie de la malheureuse.

Obligé d’en passer par là, le cœur gros, l’amant rouvrit les pages. En être réduit à cette tâche scolaire alors que son âme frémissait d’indignation !

Ce fut heureusement assez rapide.

« Votre mari est un monstre ! »

Et la réponse également facile, fut :

« Non. C’est un gentilhomme anglais. »

Une faible idée de ce qu’eussent été leurs causeries sans la tour de Babel dressée entre eux augmentait le désespoir initial de Jude. Grave, il prit la résolution, en rentrant à Paris, d’apprendre l’anglais avec acharnement.

La séance se terminait sur ces sombres évocations du passé de Rédalga. Quand ils montèrent vers leur goûter orageux, la sévérité d’Harlingues s’était transformée en une pitié si douloureuse qu’il avait envie de pleurer à n’en plus finir.

Il lui avait rempli un second verre jusqu’au bord.

— Tiens ! Puisque ton mari t’a fouettée pour ta poésie, bois ça, ma girl. Nous reprendrons nos rigueurs demain.

Contente, elle battit des mains avant de boire.