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hypocrite. Pour rester logique, je devrais être végétarien. Mais qui nous a dit que les végétaux ne souffraient pas aussi ? Alors, quoi ? Boire du lait ? Je vole : la nourriture des pauvres petits veaux… Comme je suis fatigué ! Je vais rentrer décidément. Je crois aussi que je crève de faim. Lâchons notre statue pour aller manger notre tranche de jambon. Malheureux porc, on t’a assassiné pour moi. Quel mot sinistre : charcuterie… Je n’y vois plus du tout. C’est ridicule : je m’esquinte les yeux quand je pourrais allumer… Non. Il faut rentrer. Encore ce petit rien de grattoir ici… Microbe de microbe… Grandes panathénées… Férocité… Férocité…

Un coup dans la porte.

L’atelier donne directement, cahute perdue, sur la vieille rue silencieuse. Ils savent tous que Jude Harlingues y reste très tard.

Un praticien ? Un architecte ? Un mouleur ? Un camarade de collège ou de guerre ? Il y en a tant qui tournent dans sa vie, des humbles et des grands. Au hasard, il répond : « Entre ! La porte n’est pas fermée ! » Car, ouvriers ou riches amateurs, le tutoiement réciproque est toujours de mise. Le sculpteur est un tâcheron en même temps qu’un monsieur.

— Jude, écoute donc, dit, essoufflée, musicale, une voix d’étranger. Quelle veine que tu sois encore là. J’ai pensé que tu pouvais venir diner avec quelques amis et moi, ce soir, à Montparnasse.

— Comment ! Toi, Alvaro ? Tu es donc à Paris ? Attends que je descende et que j’allume !

— Oh !… dit l’autre devant l’immense statue subitement éclairée.

Il oublie qu’il est pressé, le but de sa visite.

— C’est-beau, tu sais, ce que tu fais là.

À ces mots, Harlingues met sa tête de côté pour regar-