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rédalga

son air de jeune martyre du vice et l’expression canaille de sa belle bouche qui doit dire tant d’horreurs à la minute !

— Démande-lui de poser !… fit Alvaro. Veux-tu que je te l’amène ?

— Non ! non !… Elle est plus mystérieuse d’un peu loin. Oh ! vous voyez comment elle s’est placée ? Debout sur cette marche, immobile et silencieuse, avec ses bras ! comme ça… On dirait qu’elle est crucifiée. Quel beau Rops !

— Moi, dit Rodrigo, j’aimerais mieux l’étudiante française (penchez-vous un peu, vous la verrez), qui emboîte ces deux Américains ; j’entends à peu près tout ce qu’elle dit, avec des phrases pédantes et pas mal d’éloquence.

Ayrès, seul de son bord, étudiait attentivement une tablée de Japonais. Jude Harlingues regardait tout et rien, heureux de se sentir heureux :

Les petits yeux intelligents d’Alvaro, depuis un moment, surveillaient la table mitoyenne. Il finit par attirer l’attention des autres.

Péremptoire et musical :

— Il y a quelque chose, à notre droite, de bien plus curieux que tout le reste : c’est cette femme pas jeune, toute seule à une table, et qui siffle des petits verres en monologuant. Vous voyez ce que je veux dire ? On croirait une pauvresse de Londres. Taisez-vous un peu que j’essaie d’entendre dans quelle langue elle parle, et ce qu’elle dit.

Ils tendirent l’oreille en affectant d’allumer leurs cigarettes.

Alvaro triompha tout bas :

— C’est bien ça !… De l’anglais. Vous entendez ?

Au bout d’un moment, les prunelles de Rodrigo jetèrent un éclair.

— Ce sont des vers !… murmura-t-il. Je saisis bien qu’elle les scande, mais je ne peux pas attraper les mots,

La rumeur du café, pâte épaisse comme l’air qui s’y res-