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rédalga

pirait, étouffait les syllabes à mesure sur la bouche pâle de cette Anglaise évidemment ivre-morte.

— Alvaro ?… Va nous la chercher !… supplia le petit Brésilien. Il faut absolument savoir ce que c’est.

Et, tranquille comme toujours, Alvaro se leva, mince gentilhomme aux belles manières. Il s’inclina devant la buveuse et lui demanda dans sa langue si elle ne désirait pas des cigarettes, car il remarquait qu’elle n’avait plus devant elle qu’une boîte vide. Une seconde plus tard elle quittait sa place pour venir s’asseoir au milieu des cinq garçons. Elle le fit avec un front bas et des yeux peureux sous son vieux chapeau d’homme. Jupe courte devant, longue derrière, veste élimée, cache-col crasseux, ; mèches tortillées et rouges traînant dessus, elle était grande, raide, large d’épaules. L’ombre du feutre très descendu sur les yeux ne laissait en lumière que le bout de son nez et sa mâchoire, les deux bien britanniques, c’est-à-dire d’une brutalité fort distinguée.

Toutes les boîtes de cigarettes se tendirent à la fois vers elle. Elle choisit, hésitante, puis se mit à fumer en silence. Alors chacun à son tour posa sa question.

— Qu’est-ce que vous voulez prendre ? demanda en anglais Alvaro.

Elle exprima du geste : « N’importe quoi. »

Rodrigo dit, également en anglais :

— Ce sont des vers que vous récitiez, tout à l’heure ?

Le regard par terre, elle répondit :

Yes.

Harlingues, qui ne savait d’anglais que ce qu’on en apprend au collège, cria comme à une sourde :

— Parlez français, vous ?

No.

Lévesque en savait encore moins qu’Harlingues :

— Pas un seul mot ? Non ? Pas comprendre ?

Une tû pétit piou.