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frisettes blanches, il ne s’habituait pas encore, malgré ce qu’il avait traversé depuis, à sa disparition totale.

Elle lui avait donné sa ressemblance. Ses yeux trop clairs, qu’en restait-il, sous la terre ? Ce n’était pas sans frisson qu’il essayait de les ressusciter dans la glaise opiniâtre. En tournant autour du buste, il ne se répétait qu’un seul mot : Maman. Et cela voulait dire, comme pour beaucoup d’hommes, tous les charmes de sa vie.

À cause d’elle, il avait fait le-petit gosse à la maison bien après l’âge où les garçons s’en vont mener à part leur existence d’homme. Son père, médiocre médecin de quartier, toujours dur et maussade pour cette femme de choix, ne pouvait l’admettre supérieure à lui.

Des orages s’étaient levés lors de la vocation de l’enfant qui, dès le bas âge, se savait voué à la médecine, ferme décision paternelle. Défendu par sa mère, malmené par son père, voilà son adolescence. Plus tard, triomphe : mais le hargneux médecin garda rancune à sa femme. Comment, alors, abandonner la fragile défenderesse seule aux mains de son tourmenteur quotidien ?

En mars 1914, elle mourait du cœur, comme tuée, à la fin, par les injustices continuelles de son mari. En juillet celui-ci la suivait après quatre mois paradoxalement inconsolables. C’était lui, le bourreau mesquin, qui ne pouvait lui survivre, et Jude, l’enfant tendre, qui restait bien portant et solide dans ses vêtements de deuil.

Quel beau départ pour la guerre, après cela ! Sûr de ne pas en revenir, cette fin lui plaisait.

Et pas même une blessure…

Son pouce passait et repassait sur la terre mouillée, à la recherche du modelé des joues.

Il est beau que le pouce, dont la caresse appelle la lumière, soit forcé de se promener du haut en bas de toute œuvre sculpturale et que, partout, l’estampille de ses em-