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VI

 ttablé devant un rond de galantine, il se mit à rire tout seul.

C’est ce qui bien souvent arrive quand, après l’aventure, on rentre chez soi ; car, la colère passée, d’acteur on devient spectateur, et c’est surtout de soi-même qu’on se divertit.

Un mélange de cauchemar et de drôlerie restait dans son esprit.

La chevelure flamboyante, les yeux en caverne, le silence des gestes mécaniques repassaient dans sa vision, rêve funambulesque. Mais ensuite le couple qu’il formait avec sa compagne forcée, dans la rue, quelle hilarité !

Cependant, un autre sentiment succéda : la commisération.

Cette pauvre Anglaise jetée dans Paris et ne sachant que quatre mots de français lui serrait un peu le cœur.

Comment et pourquoi se trouvait-elle seule à l’étranger avec la dèche, l’alcool et quelques fragments de poèmes pour tout bagage ? Quelle sombre histoire cela représentait-il ?

En fumant enfin sa cigarette au milieu de ses livres, de ses bibelots, il se dit que, malgré tout, il était un heureux de la terre. Il goûta sa bonne santé, l’équilibre de ses facultés, la plénitude de son art, le confort de sa modeste demeure.

Être un déchet humain comme cette fille hagarde et sans doute inoffensive lui parut la dernière des misères.