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rédalga

j’avais entendu à Londres au sujet de notre pauvre Anglaise.

Vous serez étonné comme moi d’apprendre qu’elle est très connue dans le monde littéraire d’ici, du moins comme poète, car on sait peu de choses de sa vie privée, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’elle vit à Paris depuis plusieurs années. (Les gens pensent que, n’ayant presque pas d’argent, le change est sa seule chance de ne pas mourir de faim !)

J’ai pu facilement me procurer les trois livres de vers qu’elle a publiés. C’est en les lisant qu’il m’a été permis de deviner à peu près sa biographie.

Je vous dis tout de suite que ces vers sont remarquables, comme je m’en étais douté, qu’ils sont, de plus, d’une nouveauté, d’un ragoût, d’une force auxquels notre époque nous a peu habitués, et simplement fantastiques de la part d’une Anglaise, par leur audace qui, même en France, aurait de quoi surprendre. Mais je vous en reparlerai tout à l’heure.

Il résulte donc de ma lecture, aidée par deux ou trois dires récoltés ici et là, que Mary Backeray (ce n’est d’ailleurs pas son nom de femme, mais son nom de jeune fille), fut d’abord une saine enfant de la nature, née et élevée à la campagne, où sa famille dirigeait de grandes fermes ; qu’elle se fit malgré cela, par des études assidues, une culture littéraire et artistique de premier ordre ; qu’elle écrivit des vers dès son enfance (non publiés) ; qu’elle se maria très jeune (car elle était belle !!) avec un homme titré qui l’emmena dans son château, loin des siens, et lui fit vivre une de ces monstrueuses existences anglaises dont la seule idée, à nous autres Latins, glace le sang dans les veines ; que, prisonnière dans ce château à la Brontë ou à la Julien Green, seul avec un être de glace qui détestait sa fougue, elle n’eut de consolation que par ses deux enfants (car elle a eu deux enfants), et qu’au bout de bien des années, on ne sait ni comment ni pourquoi (peut-être les enfants étant grandis ou arrachés d’elle)