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rédalga

elle s’échappa de sa geôle aristocratique, mena dans Londres une bohème misérable et mystérieuse, y publia ses deux derniers livres, beaucoup plus beaux que le premier, puis disparut définitivement (nous savons où elle est, n’est-ce pas ? et ce qu’elle fait !).

Une telle vie, on la retrouve tout entière dans ses poèmes auxquels je veux revenir.

Quel dommage que vous ne lisiez pas l’anglais. J’essaierai bien de vous en traduire quelques vers, mais qu’est-ce qu’une traduction quand il s’agit de poésie ?

Sachez-le, du moins, dans ces vers étonnants, on trouve lyrisme, mauvaise humeur et profondeur à égale dose. Sous une forme presque toujours bourrue et pleine d’ironie, on y trouve sa solitude effroyable, sa rage contre le gentleman qui ne lui parle jamais et la traite en roturière, presque en servante, son ennui dans des pièces froides et trop bien rangées, son regret de sa terre, toutes les fraîcheurs de la nature ; rien, cependant, sauf l’attendrissement anglais pour les daisies (pâquerettes), les daffodils (narcisses) et les lilies (lis), qui remplissent les vers des autres auteurs britanniques, car sa verdeur et sa puissance négligent ces mièvreries nationales. On y trouve aussi parmi de sombres revendications presque populacières, — à côté d’un humour inouï quand elle s’adresse, par exemple, à sa cuisinière (au temps de sa splendeur) ou parle des divers galetas de : sa bohème londonienne, — on y trouve des élans de prière désespérée et surtout, ce qui remue le cœur, les plus beaux, les plus touchants vers maternels qu’une femme ait jamais trouvés pour ses enfants — ce qui ne l’empêche pas d’écrire aussi, fort brutalement, sur la condition de la femme enceinte et de la femme en général.

Je crois que pas une n’est plus femme que celle-là, j’oserais presque dire plus femelle, mais une femelle qui, bien que levant sans cesse le drapeau rouge, pense surtout à ses petits.