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rédalga

Elle vint à lui, soumise, toujours craintive, et lui prit la main. Que voulait-elle ? Elle l’amena près du buste, et recommença de comparer les deux physionomies.

« Ah ! puisqu’elle vous plaît tant, songeait-il, si vous pouviez lui promettre de vous corriger ! »

Il enchaîna, furieux et désolé :

« Il n’y a pas à dire, il faut que je prenne des leçons d’anglais ! »

— Vous, love mother ? … énonça-t-il.

Aoh yes ! I de love her !

— Eh bien !… (sa grimace ne remplaçait pas la phrase introuvable), si you love her, il faut… il ne faut plus…

Une pirouette triste termina le sermon avorté.

Admirant le paradoxe apparent qui suivait son essai de morale, il alla chercher, derrière le poêle, la bouteille et les deux verres, avec cette annonce :

— Voilà le thé !

Elle faisait peut-être carême depuis la veille au soir. Elle ne résista pas une seconde, Sur la table à modèle, il disposa le régal auquel s’ajoutèrent des biscuits dans une boîte de papier. Assis chacun sur un coin, ils goûtèrent, bizarrement muets, en échangeant des coups d’œil gentils.

Il n’avait versé pour lui que le quart du verre à bordeaux, mais l’autre verre était rempli jusqu’au bord.

— Un seul ! One ! déclara-t-il en levant le doigt.

Et, profitant de l’occasion pour s’aider par signes, il montra le buste maternel à deux pas.

— Elle, pas aimer vous drink trop, t00 much. Elle, un verre, one glass, oui, deux, ne ! fâchée !… Si trois, très, très, very fâchée.

Le bleu de ses yeux devenu foncé, gravement, elle écoutait. Mais quand elle eut, en deux fois, avalé son porto, l’envie qu’elle eut d’un second verre était si manifeste qu’il faiblit et lui en versa la moitié d’un encore.