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— Autrefois, dit-il, j’faisions partie de la société des marins, papa, maman, mon frère et moi. On touche une retraite à cinquante-cinq ans, et puis on vous donne des remèdes en cas de maladie ; et puis on paye l’accouchement de la femme et le cercueil des morts…

Il se tut, sur ces mots, plongé dans un rêve. Puis il reprit :

— On n’peut marcher avec la procession que si on en est. On entre les premiers dans la chapelle, pour suivre la messe des marins.

— Oui, faisait Ludivine, qui n’écoutait pas.

— Ainsi, j’pourrons pas entrer, aujourd’hui, pour entendre la messe, tu vas voir ! La chapelle sera déjà pleine, rien qu’avec la procession.

Il soupira. Elle avait envie de répondre : « Qui qu’ça m’fait ! »

Mais elle ne voulut pas le froisser, le sentant exalté.

— Pour avoir l’air de s’intéresser à la conversation :

— On était très dévot, chez vous autres… dit-elle en pensant à autre chose.

Il la regarda, fanatisé. Pour la première fois elle parlait sur un ton convenable. Confiant, emporté par ses souvenirs, il osa se laisser aller :

— Mon père, commença-t-il, ne se s’rait jamais couché sans dire son Pater et son Ave. Il n’aurait jamais passé à Grâce sans entrer dans la chapelle. En mer, y faisait sa prière quand le bateau se trouvait en vue du Calvaire, Et, s’il naviguait le dimanche, quand c’était l’heure de la messe, il brûlait une chandelle dans sa cale, en face du crucifix et du buis bénit.

Il racontait, sans le savoir, l’histoire de toute une vieille race marine qui va mourir, à Honfleur, avec ses derniers survivants, monde naïf, parfaitement intègre, et si charmant, monde des rudes pêcheurs voués à Notre-Dame-de-Grâce, et pour lesquels il est tout naturel que cette Vierge un peu sirène intervienne sur mer chaque fois qu’il y a du danger.