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Ceux-là, successeurs des magnifiques marins qui firent la gloire de Honfleur quand le port régnait sur la baie, ont, de père en fils repris et gardé intactes les traditions du grand passé. Leurs idées et leur langue sont restées ce qu’elles furent au xviie siècle. Et, certes, il y a, dans les musées, des reliques qui sont moins précieuses que ces marins-là.

Après avoir raconté comment l’une de ses grand’mères avait vécu vingt-quatre ans sans dormir dans un lit, du jour où son bonhomme était mort, passant ses nuits dans un fauteuil en face d’un portrait du défunt, le mousse, tout naturellement, se mit à parler des naufrages et des intercessions de Notre-Dame-de-Grâce. Deux fois son père avait fait des vœux. Tout petit, Delphin avait vu son grand-père revenir de mer après une tempête, et, ruisselant encore d’eau, salé, roulé dans l’écume, monter pieds nus la côte pour porter un cierge à la chapelle, et vingt francs au tronc des pauvres.

Il connaissait des vieilles histoires de l’ancien temps, qui se transmettent dans les familles de cette petite aristocratie marine à laquelle il appartenait de naissance.

— Un Terreneuvas, qui r’venait à Honfleur… Quand l’équipage a vu que l’navire était perdu, y en a un qu’a eu l’idée d’crocher au grand mât unétite image de la Vierge. Et c’est comme ça qu’Notre-Dame-de-Grâce a fait l’pilote et les a ramenés au port malgré la furie d’vent…

Il parlait, le petit descendant. Malgré tout ce qu’il avait déjà souffert, la vie, pour lui comme pour tous ceux qui lui ressemblaient, était restée pareille à un conte. Et la bavarde foule contemporaine parmi laquelle il était assis, ni la présence à son côté de sa réaliste petite camarade ne l’empêchaient de suivre son rêve.

« Faut dire comme lui ! » pensait Ludivine, indulgente. Mais la gouape dans laquelle elle avait grandi fut soudain plus forte que sa complaisance.

Elle représentait l’autre monde, celui des marins qui ne font