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Au bout de quelques pas pendant lesquels il lui murmura l’on ne sait quelles choses, elle s’arrêta tout net, le toisa, dans le crépuscule de ses yeux volontaires, inflexibles et si clairs, et prononça sans chercher ses mots.

— En v’là assez, m’entendez-vous ?… Maintenant, vous allez me f… la paix, et plus vite que ça !

Il s’était immobilisé, tout saisi. Pendant qu’elle S’éloignait, hargneuse, il lui cria de loin, sur un ton de badinerie galante :

— Petite méchante, allez !… Petite méchante !…

Mais elle n’entendit pas le reste, car la distance qui les séparait était déjà trop grande.


✽ ✽

Quand Delphin rentra de la pêche, tard dans la soirée, la mère et les deux petits étaient déjà couchés. Il remarqua la mauvaise humeur avec laquelle Ludivine lui servait à manger. Il en fut bien étonné, N’était-ce pas lui qui boudait ?

Il ne pouvait pas savoir que la petite lui gardait rancune, obscurément. Elle s’était montrée si catégorique envers l’autre qu’il lui semblait que le mousse eût dû lui en savoir gré.

Pendant qu’il avalait sa soupe en silence :

— Vas-tu continuer longtemps, demanda-t-elle, agressive, à me faire c’te vieuille tête de coche ? Qui que j’t’ai fait, moi ?… Si tas queuque chose à dire, dis-le ! Moi j’aime les paroles toutes crûtes. J’peux pas souffrir qu’on recouvre l’mystère pendant si longtemps ; ça me nuit ! Un grand fourquet comme toi, ça d’v’rait avoir du raisonnement. Mais tu n’n’as brin, à t’n’âge, et te v’là qui boudes comme une vieuille fumelle, sans qu’on sache seul’ment pour qui !

Elle lui cherchait querelle. Delphin, tout embarrassé, ne savait que répondre. Il avait encore le cœur gros, depuis ce baptême. Mais il savait que, même en expliquant ses griefs, il n’aurait jamais