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quotidienne derrière elle. Son existence se résume en deux mots : école buissonnière et maraude. La vie est ainsi bonne à vivre, et riche d’imprévu. Il y a des amusements plein le port ; il y en a sous la jetée, à marée basse ; il y en a dans les ruisseaux, au bord du trottoir ; il y en a dans les bois, sur les routes, le long des labours et des haies, au-dessus de la ville. Il n’est que de choisir la fantaisie du jour. Et la horde connaît aussi le plaisir des batailles avec d’autres hordes.

Les enfants de Honfleur, descendants de fameux pirates, ont gardé tout ce qu’ils ont pu de leur ancestralité. Ils ignorent profondément, ce va sar dire, leurs origines. Mais leur âme corsaire s’exprime, jusqu’aujourd’hui, férocement.

Leur troupe éternelle, qui se renouvelle à mesure que les aînés grandissent, traîne à tous les carrefours avec les chats faméliques, sous les pots de géranium rouge des fenêtres, ces pots de géranium, coquetterie de la ville bleutée, un peu d’exquisité parmi sa crasse.

Loqueteux comme à Naples, ces gamins-là sont à peine un peu moins sales que les petits fellahs du Sud-Égypte. À l’affût d’un sou à gagner, d’un mauvais tour à jouer, moqueurs, enragés, la pierre à la main pour lapider quiconque leur déplaît ou seulement les étonne, ils forment, autour des maisons-revenants, un inlassable et dangereux chœur de gobelins, chargé de houspiller et d’assourdir celui pour lequel l’âme inhospitalière de la région a forgé le mot éloquent de horzain, qui, de toute évidence, vient de « hors sein » et qui signifie l’étranger, Anglais ou Parisien, en un mot celui qui n’est pas d’ici.

Ludivine ne manquait pas de suivre les coutumes, la sorte de tradition enfantine de Honfleur, et d’y entraîner sa bande personnelle. Deux petits frères qu’elle mouchait et giflait alternativement, et qu’elle avait portés au maillot sur ses bras faibles de petite fille, la suivaient partout comme les autres.

À eux deux, ils ne remplaçaient pas le fils aîné, mort depuis