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Ce soir d’automne, accrochée, comme souvent, à l’une de ces grilles qui mettent en cage les tout petits jardins du monde marin, le long du boulevard bordant les vagues, Ludivine essayait, par ses cris de haine, de faire sortir de sa maison son ennemi détesté, Delphin Le Herpe.

Cela se passait non loin de son logis à elle, et du côté de l’impasse Sérène.

On ne sait pas toujours le sens des noms laissés par le passé aux rues, boulevards, places et culs-de-sac d’une ville.

L’impasse Sérène, qui n’a plus l’air que d’une ruelle tout à fait insignifiante, et qu’on appelle, la plupart du temps, « la ruette Serine » >, marque pourtant la place où, jadis, une sirène de la haute mer, remontée dans l’estuaire comme un simple saumon, vint échouer au pied des dernières maisons de Honfleur, lesquelles, à cette époque, trempaient si bien dans l’eau que coquillages, moules, algues poussaient dru comme barbe sous leurs étroites fenêtres.

Comment la sirène se laissa-t-elle mettre à sec et resta-t-elle, à marée basse, assise à cette place où la vague l’avait jetée ? Il est dit qu’entre deux marées, là, pour se distraire en attendant que le flot la reprît, elle chanta.

Personne ne sait rien de plus sur ce sujet mystérieux. Mais le nom de l’impasse demeure jusqu’à nos jours pour commémorer l’événement, et c’est déjà beaucoup qu’une légende aussi précieuse ne soit pas absolument perdue pour tous.

Il va sans dire que Ludivine, devait ressembler étrangement à la jeune fille salée d’autrefois, avec ses yeux transparents et ses cheveux pâles, ne connaissait pas un mot de la merveille.

L’impasse Sérène était, pour elle, l’un des coins de son quartier où, volontiers, elle s’arrêtait avec sa horde. C’est tout.

Ce soir, ce n’était pas la peine de faire tant de grimaces et de