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— Si papa n’est pas pour sortir demain, on prendra aussi Armand !… avait ajouté la jeune fille.

Ils durent partir tard comme elle l’avait prévu. On était en « vive eau », ce qui permet les entrées et les sorties à volonté pendant un temps plus long que d’ordinaire.

— Nous embarquerons au flot pour pouvoir rentrer quand nous voudrons, puisqu’y n’s’agit pas d’pêquer, mais d’promener seul’ment…

Un peu rassuré par cette condition, Lauderin, déjà décomposé, tant il craignait le moindre roulis, essayait de faire bonne contenance. Les fantaisies de Ludivine, qu’il avait encouragées, dépassaient parfois la mesure. Mais la crainte de lui déplaire (car elle avait, en cas de refus, parlé de retarder le mariage, et il savait qu’elle exécuterait sa menace), la crainte de lui déplaire était plus forte que sa répulsion.

Bon-Bec sortit de l’avant-port sans secousses. Le temps était clair, la mer douce comme lait. La chaleur de juin, à cette heure, diminuait déjà.

Le père de Ludivine, enchanté d’une occasion de rester en ville, avait donné son fils et mousse, Armand, qui, plein d’importance, était tout fier de faire voir son jeune savoir aux siens, assis en face les uns des autres dans la belle barque neuve. Et le patron de Bon-Bec, dit La Limande, avait laissé son matelot ordinaire au port, pour que le petit Bucaille eût la joie de jouer son rôle à bord.

Le père La Limande doit certainement ressembler à Jean Bart, dont il a la carrure, l’âme et le langage. C’est un de ces marins de Honfleur, déjà vieux, qui semblent être, en vérité, de la même époque que les bassins, construits sous Louis XIV.

Celui-ci, bien intimidé par la présence à bord de son armateur, donnait ses ordres au petit Armand d’un air à la fois paternel et fermé.