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Cet enfant, qui, si jeune, avait déjà tout du marin-né, plaisait seul au vieux pêcheur, parmi la belle compagnie qui l’envahissait aujourd’hui. Ludivine surtout était trop élégante pour lui, Du reste, il avait toujours maintenu ses distances vis-à-vis de Bucaille, son collègue, dont il n’approuvait pas la vie. C’était forcé par Lauderin qu’il l’avait conduit, plusieurs soirs de suite, au Grand Café Maritime. C’était encore à contre-cœur qu’il promenait présentement cette famille, qui n’était pas de sa caste arriérée, dévote et noble.

Or, quand Lauderin vit que la mer était si tranquille et qu’il n’éprouvait aucun malaise, retrouvant ses esprits, il se mit en demeure, sur un ton condescendant, plaisant, de faire parler le père La Limande, qui n’y tenait guère.

— Allons-nous passer devant le calvaire de Grâce ?… demanda-t-il pour entrer en matière.

Et son petit œil noir clignait du côté de Ludivine et de sa mère, comme pour dire : « Je vais le faire marcher ! Vous allez voir ça tout à l’heure ! »

Mais un Normand, quels que soient son âge et sa naïveté, ne se laisse pas facilement faire.

— Ça va dépendre de vot’fantaisie, cha !… répondit à côté le vieux. Si vous t’nez bien la mer, m’sieu Lauderin, on ira où que vous voudrez. Mais si vous v’nez à poser du cœur sur du carreau, faudra rentrer sans avoir rien vu !

Avec un petit frisson, l’autre se recueillit un moment pour bien s’assurer qu’il n’avait pas mal à l’estomac. Un très léger roulis l’inquiéta. L’horizon calme le rassura. Pourtant il jeta du côté du Sud, vers Honfleur, un regard d’envie.

Ludivine, qui ne perdait rien de tout cela, se mit instantanément du côté du père La Limande.

— Vous n’sentez encore rien dans vot’boyasse ?… demanda-t-elle avec un sourire retroussé, cruel.