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— Parlons d’autre chose ! supplia Lauderin.

Et sans plus chercher aucun préambule, pressé de changer la conversation et de rire aux dépens du bonhomme :

— N’est-ce pas, père La Limande, que vous faites toujours votre prière, en passant, en mer, devant le Calvaire ?

— Toujours, monsieur ! confirma très dignement le vieux marin,

Puis il fit un pas du côté du petit Armand pour lui donner un ordre, montrant son dos aux moqueurs.

Il comprenait bien que l’on cherchait à le faire parler, pour tourner en dérision sa croyance. Et Lauderin, un fin sourire dans sa moustache rouge, serré dans son complet de mauvais goût, se croyait le supérieur de ce vieil homme d’un autre temps, dont la tête était pleine de belles images, et pour lequel toute une poésie régnait encore sur la mer.

— Dites-donc, père La Limande, continua le goujat, qui y tenait, racontez-nous donc des miracles que vous avez vus ! La bonne Vierge vous a sauvé, je crois, une ou deux fois, dans des naufrages ?

— Monsieur, répliqua-t-il, la bonne Vierge, aujourd’hui, est point pour la jeunesse beaucoup plus qu’une bouée. Mais où qu’la bouée les sauve point, Notre-Dame-de-Grâce les sauve, et y s’en souviennent, n’ayez pas peur, quand l’péril est sur eux. Car j’en connais d’aucuns qu’ont fait des vœux qu’on n’soupçonnerait pas quand on les voit en ville.

— Vous avez raison, mon vieux !… dit Lauderin, comme s’il se fût agi de quelque maniaque.

Et, se calant comme dans un fauteuil de théâtre :

— Allons ! Racontez-nous !

Il y eut une mélancolie dans les yeux du pêcheur grisonnant. De même que tous ceux qui lui ressemblent il avait le sentiment confus d’être un des derniers survivants d’une époque qui s’en va vite. Il n’analysait rien. Il disait : « Les jeunes n’ont plus