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croyance… » Mais il ne s’apercevait pas encore que Notre-Dame-de-Grâce elle-même se dépouille chaque jour des vrais trésors de sa chapelle, petits bateaux, petits tableaux, béquilles et autres témoignages populaires qui disaient sa charmante et séculaire souveraineté, qui la disaient beaucoup mieux, certes, que la couronne somptueuse dont il lui fut récemment fait présent, avec le concours des cocottes de Trouville.

Qui se souvient, actuellement, que la petite maison divine fut d’abord couverte en chaume ? Que sont devenus ses adorables vitraux anciens, enchâssés dans du plomb, et verdâtres comme des hublots ? Où donc est la vieille grille qu’on voyait devant son autel ? Le goût effréné du luxe a pénétré jusque dans ce mignon sanctuaire, qui bientôt n’aura plus rien qui rappellera le naufrage et le miracle, qui bientôt n’attendra plus la visite de ses marins sauvés en mer, mais plutôt celle d’autos venues des plages à la mode, pleines de Parisiens ahuris et superficiels, pèlerins tout prêts à confondre l’autel de Notre-Dame-de-Grâce, de Honfleur, avec l’hôtel de Guillaume le Conquérant à Dives, et autres curiosités pour touristes désœuvrés.

Comme la réponse du père La Limande ne venait pas, Lauderin s’impatienta :

— Eh bien ?… Vous n’avez rien à raconter ?

— Monsieur… commença le vieux, avec une politesse froissée.

Ludivine, depuis un instant, s’agitait dangereusement. Elle pensait aux histoires de Delphin, pareilles à celles que sollicitait le cafetier. Elle était fille de marins, elle aussi. Bien qu’élevée dans l’esprit nouveau des pêcheurs, elle se sentait atteinte par la lourde raillerie du citadin. Cabrée, défendant sa race :

— Y répondez pas, mon père La Limande !… fit-elle avec Son ton le plus malhonnête. Vous n’voyez donc pas qu’c’est une langue d’aspic ? Comment voulez-vous qu’y comprenne queuque chose à vos raisons, lui qu’a toujours passé sa vie l’cul sur une