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Le vieux marin fit signe : « Non ! »

Les quelques voiliers chargés de moules qui, eux, étaient partis à temps, se discernaient encore au loin, par instants, puis disparaissaient, interceptés par les rideaux d’embrun sortis de la mer. On les voyait lutter dans la bourrasque. Les vagues se déchiraient l’une contre l’autre dans l’espace, avec des claquements subits, parmi le sifflet sinistre du vent et le rauque rugissement du large, basse continue.

Pendant quelques secondes, en proie à la syncope tout debout, Lauderin se tut, immobile. Puis soudain, les veines gonflées dans un effort inutile, puéril, il se mit à crier de toutes ses forces :

— Au secours !…

Le matelot s’en revenait à son tour, avec des gesticulations de fou. Tous ensemble ils durent reculer en désordre devant l’eau prodigieuse qui commençait à s’avancer sur eux.

— Une heure !… vociférait le matelot, j’en avons pour une heure !… Dans une heure, j’sommes morts !

Et, comme s’il apprenait seulement la nouvelle, Lauderin, à ces mots, se rua sur les deux pêcheurs, s’accrochant à leurs vêtements avec, déjà, des mains d’homme qui se noie. Mais eux, à grands coups de poing, l’arrachèrent.

— Ah ! non !… Pas ça !… On peut toujours essayer d’nager.

D’un mouvement unanime, ils tiraient sur leurs vareuses, les enlevant par la tête, se déchaussaient.

Lauderin ne savait pas nager. Repoussé par les hommes, il tourna plusieurs fois sur lui-même, et se jeta sur Ludivine sans savoir ce qu’il faisait. Elle chancela, s’agrippa. Se tenant tous deux aux bras, la face contre la face, il se regardèrent de si près qu’ils ne se voyaient pas.

— C’est toi qui m’as perdu, râla Lauderin. C’est toi qui m’as amené de force, ici ! C’est toi ! C’est toi !… Et moi, je vais mourir, moi !