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plus. Il y a de la mauvaise herbe haute. Il y a une salle qu’on voit et qui est pleine de voiles et de rames, basse, noire — un intérieur de barque.

Ludivine avait des yeux habitués qui ne cherchaient pas ces choses pleines de rêves. Ce qu’elle cherchait, elle ne se l’avouait pas à elle-même. Elle essayait de croire que seul le hasard la menait.

Quand elle fut devant la maison Le Herpe, elle vit que, ce soir encore, les volets n’étaient pas tout à fait fermés.

En s’accrochant à l’humble grille, elle put apercevoir la famille à table. Le calme et la propreté de cet intérieur où les gestes étaient lents et la lumière égale lui serra le cœur. Elle eut envie, mystérieusement, de ce bien-être, de cette honorabilité. Le profil de Le Herpe, un instant apparu, la bouleversa.

Elle mordit avec rage son croûton de pauvre. Il y eut un arrêt d’un instant pour sa petite âme qui courait à l’abime. Avant un an, elle serait une fille à matelots, comme bien d’autres gamines du port. Un grand cri naissait de tout son être : « Être l’enfant de cet homme-là ! Faire partie de cet intérieur-là !… »

Un frisson de colère la parcourut : « Y m’a battue ! »

Une seconde encore, elle regarda le beau profil du marin qui, tout en parlant aux siens, souriait ; puis elle lâcha les barreaux, sauta sur ses pieds. Et, dans la nuit pluvieuse et mauvaise, tendant le poing vers le marin, sombrement, de toute sa haine d’enfant perdue, elle lui souhaita la mort.

Aux sons rythmés et graves du couvre-feu sonnant au clocher de Sainte-Catherine, elle était rentrée vite chez elle, comme pressée de retrouver sa misère. Maintenant, couchée, elle dormait. Et son sommeil, qui était resté enfant, l’enfonçait toujours plus dans le bon néant qui repose de la vie.

Quelle heure était-il quand elle se réveilla ? Un tapage qui, d’abord, s’était mêlé à ses rêves, la tira enfin de l’autre monde