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pour la rendre brutalement à celui-ci. Encore tout engourdie, elle comprit à demi que son père, qu’on n’avait pas revu dans la soirée, venait seulement de rentrer, et qu’il recommençait les scènes.

Avec la mauvaise humeur de ceux qu’on arrache au bien-être nocturne :

— Y va pas nous fiche la paix ?… pensa-t-elle.

Les petits frères, à deux dans le même lit, à côté d’elle, continuaient à dormir. Elle essaya de faire comme eux. Les histoires des parents se passent dans un domaine qui n’intéresse pas les enfants. Cependant un cri de sa mère la dressa sur son lit. Encore frappée ?

Dans le silence de la nuit et dans ses ténèbres, C’était plus sinistre que dans le jour. Le cœur de la petite battait, révolutionné. Elle écouta les paroles, explication de ces violences.

— Donne-moi mon ciré et mon suroit !… répétait toujours Bucaille. J’veux y aller, que j’te dis !

Sa voix pâteuse ne révélait que trop qu’il était parvenu au dernier degré de l’ivresse. Celle de sa femme, pleine de pleurs, ripostait :

— Tu les auras pas ! J’les ai cachés ! Tu n’peux pas t’embarquer de nuit sans matelot ! T’es perdu saoul ! Avec le temps qu’y fait, tu s’rais néyé avant d’avoir doublé la jetée… Non ! Ne m’bats pas ! J’peux plus en prendre… Oh ! lâche !…

Le coup sourd qu’elle entendit fit que Ludivine claqua des dents. « Y la tuera queuque jour !… » se dit-elle avec épouvante.

Le sanglot de sa mère la fit tressaillir. Les coups étaient, en somme, une nouveauté dans la maison. Pour la première fois, la petite fille avait conscience du martyre maternel. Son cœur dur céda subitement. Ce fut une pitié combative, et qui la cabra contre son père.

— Maman ?… appela-t-elle,

Dans la pièce à côté :