— T’entends ?… Tu réveilles les éfants ! T’as pas honte ?…
— Donne-moi mon ciré, que j’te dis ! Donne-moi mon suroit. J’ai pas besoin d’matelot ! Mon matelot je…
Le flot des ordures se mêlait au piétinement lourd, au bruit de quelque chaise molestée.
— Ah ! mais ! J’me défendrai, à c’t’heure, tu sais ben !…
Ludivine retint un cri de peur. Il y avait une lutte à côté. Le fracas d’un corps qui tombe la précipita hors de son lit. Mais, sur le seuil, elle s’arrêta.
— C’est ça, grondait la femme Bucaille. Dors… vieux mal-va ! Dors par terre, comme un quin !
L’enfant avait poussé la porte. À la lueur d’une chandelle posée sur la table, elle vit son père, roulé au pied du lit, assommé par l’alcool, ivre-mort. Sa mère ébouriffée, hagarde, le regardait.
En voyant paraître sa fille en chemise et grelottante, elle fit un geste éloquent et comme théâtral :
— Tiens !… Regarde ça !… C’est ton père !
Un bondissement soulevait la fillette. La sentimentalité ne lui était guère possible ; mais l’élan de son cœur se traduisait autrement. Spontanée, énergique et bourrue comme une femelle du port, elle sentit qu’elle devait se dresser à côté de sa mère trop faible, pour faire le coup de poing comme un petit gas qui bat déjà son père.
Elle ouvrit la bouche pour crier quelque chose. Tout son être protestait : « Je suis là ! Tu peux compter sur moi, car nous serons deux, à présent ! »
Mais la femme Bucaille, toujours seule avec ses malheurs, pouvait-elle deviner ce qui s’apprêtait à foncer sur elle, comprendre qu’une alliée venait de lui naître, cette nuit, en la personne de sa mauvaise fille, pour la défendre et la consoler à sa manière ?
Reprenant mécaniquement le ton de la criaillerie quotidienne, elle dit, accoutumée, fatale :