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Quand elle eut enfin terminé, la femme Bucaille recommença. Elle n’était pas la seule. Toute la ville dans le même instant, tenait, à peu de chose près, les mêmes propos qu’elle, sauf chez les commerçants et chez les bourgeois, où la nouvelle se réduisait à quelques mots colportés par les cuisinières en courses.

Ludivine, prostrée, écoutait à peine sa mère. Son ordinaire curiosité restait inerte. Le Herpe était mort, et la veille, dans l’ombre, elle lui avait souhaité la mort.

Elle eut un petit tressaillement en voyant entrer son père. Il était presque aussi décomposé qu’elle-même. Sans doute songeait-il que, sans sa femme, il eût été, lui aussi, noyé dans la nuit. Il l’avait battue, pourtant, parce qu’elle l’empêchait de sortir.

En entrant il regarda profondément celle-ci, mais ne dit rien de ce qu’il pensait.

— Eh ! ben ? demanda la grêlée, avide de nouveautés.

Elle se précipitait vers lui comme si rien de mauvais ne se fût passé entre eux la veille. Il fut peut-être touché de ce rapide oubli, de la part de la pauvre créature qu’il avait arrangée comme elle l’était. Des sentiments confus tournoyaient dans son cœur inculte. Comme sa fille, il se laissa tomber sur une chaise,

— Est terrible !… murmura-t-il.

L’esprit de corps, qui règne encore dans le monde des pêcheurs, malgré que l’ancien et le nouveau genre frayent si peu, faisait que la mort de Le Herpe atteignait tous ses collègues, sorte de deuil de famille.

À son tour, Bucaille se mit à raconter le naufrage. Il venait de parler longuement avec des camarades ; mais ils n’avaient tout de même pas eu l’indécence de boire en commentant. Bucaille était visiblement lucide, normal. Ses yeux trop clairs se faisaient doux ; on les eût dits remplis d’une tristesse immense.

Pour manifester d’une manière détournée les regrets qu’il avait de sa conduite :