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Le sursaut du père et de la mère fit trembler la table,

— T’es perdue folle !… crièrent-ils ensemble.

Et les deux garçons, ces petites brutes inconscientes, éclatèrent de rire.

Un peu de couleur revenait aux joues de Ludivine. Ses yeux de petit chef étincelaient. Mais sa race la faisait d’instinct plaideuse, Par ruse innée, elle commença tout de suite par l’intérêt.

— Puisque, dit-elle, le novice à papa va être pris par l’État, ces jours, et qu’on parlait d’un nouveau matelot, et puisque Maurice est encore trop petit, j’vois point pourquoi qu’Delphin, qu’en sait plus long qu’un autre, qu’a été dans c’t’école et qu’a déjà navigué sous son père, ne f’rait pas l’affaire sur notre bateau. Y paierait sa nourriture en travaillant à bord, et pis v’là tout.

— Et pis v’là tout ! l’imita railleusement Bucaille en colère.

Impertinente, retrouvant tous ses moyens, Ludivine l’interrompit dans ce qu’il allait dire :

— Toi qu’aimes bien les trois parts du bateau, fit-elle, tu les aurais, c’coup-ci !

La bouche ouverte, le marin la regarda. La grêlée, fascinée, regardait aussi sa fille. Elle était faible et bornée, mais le cœur du peuple est une immense chose.

Avant même de chercher à comprendre les arguments, cette mère était prête à céder, à recueillir l’orphelin, parce qu’il n’avait plus personne sur la terre. C’est si simple de faire ce geste-là, quand on est pauvre !

Mais Bucaille n’allait pas si vite. Toujours en colère, il frappait du poing la table :

— Un éfant d’plus ici, quand qu’y en a déjà trois qui mettent tout en déroute ? C’gamin qu’a été élevé comme il l’est, est-y toi qui peux y servir de sœur ?… Tu y apprendrais à courir les rues comme toi… Non ! Non !… Tâche d’abord de te gouverner avant d’penser aux autres !