Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/157

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tuant des travaux si divers devraient acquérir une foule de qualités particulières que ne possèdent pas les ouvriers de nos villes ; mais, dans tous les cas, il leur manquerait des loisirs. Chez nous, au contraire, non seulement la division du travail réserve à l’ouvrier des loisirs personnels pour la satisfaction de ses besoins intellectuels et moraux, mais, en permettant à une certaine classe de se livrer complètement à des études spéciales, elle donne au travailleur la possibilité de profiter du résultat de ces études pendant les heures de repos. La moindre attention le démontre surabondamment, et on s’étonne de constater que des esprits vraiment observateurs et sagaces nient encore les progrès de l’intelligence dans la masse ouvrière. Il n’y a pas de doute pour, nous que la classe laborieuse ne soit, dans son ensemble, plus instruite maintenant qu’au temps des corporations où chaque ouvrier faisait sa pièce et où Arthur Young constatait qu’aucun d’eux ne lisait de journaux. La division du travail, en multipliant la production et la richesse, accroit le bien-être du peuple, et, en augmentant ses loisirs, elle développe généralement ses facultés intellectuelles : « La civilisation, comme l’a dit fort exactement M. Paul Leroy-Beaulieu[1], se mesure à l’accroissement simultané des produits et des loisirs. »

C’est ce que nous répondrons, au point de vue de la morale, à Smith comme à Blanqui, et nous sommes surpris que cette observation ne les ait point frappés. L’illustre fondateur de l’économie politique n’aurait pas ainsi frayé la voie et prêté l’appui apparent de son autorité aux écoles socialistes qui ont attaqué violemment, de nos jours, l’organisation de l’industrie moderne.


Partant de là, ces écoles ont été jusqu’à nier les avantages économiques que Smith avait signalés dans des termes si remarquables, et elles ont reproché violemment à la division du travail de mettre l’ouvrier à la merci des crises. Si l’ouvrier, dit-on, ne sait faire que des têtes d’épingles, que deviendra-t-il lorsque la production des épingles se ralentira ou lorsque des procédés nouveaux rendront ses services inutiles ? — Ce reproche,

  1. Leroy-Beaulieu. Répartition des richesses, ch. XVI, p. 463. Guillaumin, 1881.