Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/159

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laissa pas que de soulever des plaintes amères de la part des ouvriers. Ceux-ci se crurent supplantés par cette puissante concurrence, il y eut des émeutes où on brisa les métiers, et, maintenant encore, les comptes rendus des commissions d’enquête témoignent à chaque page de l’hostilité de la masse des ouvriers à l’égard des engins mécaniques.

Cependant cette concurrence que semblent faire les machines au travail humain n’est qu’apparente, car si le nouvel outillage a modifié profondément l’organisation du travail, il ne l’a pas rendu moins nécessaire, et la main-d’œuvre n’a jamais été plus rare que depuis la transformation industrielle qui s’est opérée il y a cinquante ans.

Pour être exact, au contraire, il faudrait plutôt dire que cette transformation a donné, en réalité, une impulsion considérable à la production en la rendant moins chère, et qu’en favorisant l’accumulation des capitaux, elle a été l’agent le plus puissant de l’amélioration du salaire réel, du bien-être de l’ouvrier. « Cette grande multiplication, dit Smith[1], dans les produits de tous les différents arts et métiers, résultant de la division du travail, est ce qui, dans une société bien gouvernée, donne lieu à cette opulence générale qui se répand jusque dans les dernières classes du peuple. Chaque ouvrier se trouve avoir une grande quantité de son travail dont il peut disposer, outre ce qu’il en applique à ses propres besoins ; et comme les autres ouvriers sont aussi dans le même cas, il est à même d’échanger une grande quantité des marchandises fabriquées par lui contre une grande quantité des leurs, ou, ce qui est la même chose, contre le prix de ces marchandises. Il peut fournir abondamment ces autres ouvriers de ce dont ils ont besoin, et il trouve également à s’accommoder auprès d’eux, en sorte qu’il se répand parmi les différentes classes de la société une abondance universelle. »

C’est là l’expression de la vérité économique, et l’histoire a donné raison au philosophe écossais. Au début de cette transformation industrielle que notre siècle a vue se dérouler avec une étonnante rapidité, l’introduction des machines dans les manu-

  1. <span class="coquille" title="Rich., liv. I, ch. I, (t. I, p. 14).">Rich., liv. I, ch. I (t. I, p. 14).