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Amis des noirs, et qui devait périr si misérablement, après le 10 août 1792, dans sa retraite de Gisors. Bien que le philosophe de Glasgow eût fort maltraité l’auteur des Maximes dans son ouvrage et dans son cours, il n’en fut pas moins accueilli chez le petit-fils avec affabilité et respect, et plus tard, le jeune duc, tout-à-fait pénétré des doctrines d’Adam Smith, entreprenait même la traduction de la Théorie des sentiments moraux, à la suite de laquelle il comptait tenter en même temps une justification des écrits de son aïeul.

Voici la lettre par laquelle il annonça à Smith qu’il renonçait à son dessein. Ce document, transmis par Dugald-Stewart, montre la nature des relations et les rapports d’affectueuse déférence qui existaient entre le jeune duc et le philosophe écossais ; à cet égard, il mérite de prendre place dans ce travail.


Paris, 3 mars 1778.


Le désir de se rappeler à votre souvenir, Monsieur, quand on a eu l’honneur de vous connaître, doit vous paraître fort naturel ; permettez que nous saisissions pour cela, ma mère et moi, l’occasion d’une nouvelle édition des Maximes de La Rochefoucauld, dont nous prenons la liberté de vous offrir un exemplaire. Vous voyez que nous n’avons point de rancune, puisque le mal que vous avez dit de lui dans la Théorie des sentiments moraux ne nous empêche point de vous envoyer ce même ouvrage. Il s’en est même fallu de peu que je ne fisse encore plus, car j’aurais eu peut-être la témérité d’entreprendre une traduction de votre Théorie ; mais, comme je venais de terminer la première partie, j’ai vu paraître la traduction de M. l’abbé Blavet et j’ai été forcé de renoncer au plaisir que j’aurais eu de faire passer dans ma langue un des meilleurs ouvrages de la vôtre.

Il aurait bien fallu pour lors entreprendre une justification de mon grand-père. Peut-être n’aurait-il pas été difficile premièrement de l’excuser, en disant qu’il avait toujours vu les hommes à la Cour et dans la guerre civile, deux théâtres sur lesquels ils sont certainement plus mauvais qu’ailleurs ; et ensuite de justifier, par la conduite personnelle de l’auteur, des principes qui sont certainement trop généralisés dans son ouvrage. Il a pris la partie pour le tout, et, parce que les gens qu’il avait eus sous les yeux étaient animés par l’amour-propre, il en a fait le mobile général de tous les hommes. Au reste, quoique son ouvrage mérite à certains égards d’être combattu, il est cependant estimable même pour le fond et beaucoup pour la forme.