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Page:Delille - Œuvres complètes, Didot, 1840.djvu/19

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Sous le rapport des qualités sociales, ce poëte n’a pas moins de droits à notre estime et à nos éloges : l’urbanité, la douceur de son caractère, la bonté de son cœur, la gaîté, le charme inimitable de sa conversation, lui attirèrent autant d’amis qu’il y eut de gens distingués à portée de le connoître. « Il racontoit avec grace, dit M. Duviquet, s’exprimoit avec feu, ne parloit de lui qu’en reculant devant les provocations les plus pressantes, comme Horace ne récitoit ses vers que lorsqu’il s’y voyoit obligé par la reconnoissance ou par l’amitié. Frondoit-il un ridicule, ce qui lui arrivoit assez souvent, il regardoit autour de lui, et si le trait prêt à partir pouvoit atteindre même indirectement une personne de l’assemblée, il le retenoit dans sa main, ou le laissoit tomber à terre. Un caractère aussi liant et aussi aimable le faisoit rechercher dans les premières sociétés de la capitale ; il y portoit l’enjouement et la naïveté d’un enfant ; galant et respectueux auprès des dames ; libre, mais sans morgue et avec décence, auprès des grands ; applaudissant aux succès, je ne dirai pas de ses rivaux (depuis la mort de Voltaire il n’en avoit plus), mais de ses confrères ; sûr de sa supériorité, parce qu’il avoit trop d’esprit pour la méconnoître, et trop aussi pour ne pas affecter de l’ignorer ; comme il savoit se taire, et que sa présence ne gênoit point les parleurs, il observoit en souriant, prenoit ses notes de mémoire, et le soir, rentré chez lui, les confioit à ses tablettes. »

Si nous joignons à ce portrait celui que l’on attribue à sa veuve elle-même, nous aurons une idée plus complète encore du caractère de l’homme célèbre qui a laissé dans la mémoire de ses amis de si doux souvenirs. « Delille faisoit remarquer, dit-elle, une grande conformité entre le caractère de ses écrits et sa physionomie : ils avoient de la noblesse, de la simplicité, de l’élévation, de l’esprit, de la franchise, de la gaîté et de la mélancolie. Mais c’etoit dans ses regards qu’il falloit chercher sa physionomie tout entière. Ils étoient si expressifs, qu’on ne vouloit plus croire à leur extrême foiblesse, lorsque la conversation animoit ses yeux, et qu’ils animoient la conversation. « Laissez-moi le voir, disoit une femme à quelqu’un qui s’étoit placé devant elle dans une société nombreuse où il lisoit un poëme : quand je ne le vois pas, je ne l’entends plus. »

« Sa sensibilité le rendoit fidèle, non-seulement à ses amis, mais aux personnes qui l’intéressoient, aux lieux mêmes qu’il avoit habités. Ses ouvrages sont pleins de ses premiers souvenirs. Le commentaire de ses vers étoit toujours dans son cœur… Il sembloit n’avoir aucune mémoire pour les choses de vanité ; et, quand il parloit de lui, il oublioit toujours les moments les plus brillants de sa gloire… Ses ouvrages l’occupoient beaucoup ; il aimoit le travail ; il détestoit la publicité. S’il fût né avec un peu de fortune, il n’eût rien fait imprimer de son vivant. Il donnoit des preuves de foiblesse dans les petites occasions ; il étoit sublime dans les grands événements. Son ame sembloit appartenir tour-à-tour à la gaité, à la mélancolie ; l’une se répandoit dans sa conversation, l’autre dans ses ouvrages. Ses entretiens avoient de la grace, parce que, toujours naturel et simple, il ignoroit l’affectation qui la détruit. En général, il régnoit un grand accord entre son esprit et son cœur ; il n’auroit pu se peindre, il ne se connoissait pas. Il n’exprimoit jamais que ce qu’il avoit éprouvé ou senti. Quoi qu’en aient dit des détracteurs injustes, j’ai vu souvent ses larmes suivre ou précéder les vers qu’il me dictoit. L’envie de plaire, chez lui, ressembloit à la vertu ; inspire par sa bienveillance naturelle, il faisoit pour sa société ordinaire les mêmes frais que pour les cercles les plus nombreux. De toutes les vertus qui composoient son caractère, la reconnoissance étoit celle qu’il cultivoit le plus soigneusement. L’ingratitude lui sembloit le plus hideux des vices. Il aimoit beaucoup ; il aimoit d’être aimé. Il ne regrettoit point la perte de sa fortune ; mais il pleuroit amèrement celle de ses amis. »

Les ouvrages de Delille ont été publiés dans l’ordre suivant : les Géorgiques de Virgile, traduites en vers français, Paris, 1769, in-12, 1782 et 1785, 1809 dans tous les formats, avec des notes et des variantes ; les Jardins, ou l’Art d’embellir les Paysages, 1780 ; ce poëme en quatre chants eut un grand nombre d’éditions successives : il fut réimprimé à Londres en 1800, et à Paris en 1802 ; l’Homme des Champs, ou les Géorgiques françaises, 1800, a été traduit en vers latins