Page:Delille - Les Jardins, 1782.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le terrein, les aspects, les eaux et les ombrages
Donnent le mouvement, la vie aux paysages.

Mais si du mouvement notre œil est enchanté,
Il ne chérit pas moins un air de liberté.
Laissez donc des jardins la limite indécise,
Et que votre art l’efface, ou du moins la déguise.
Où l’œil n’espère plus, le charme disparaît.
Aux bornes d’un beau lieu nous touchons à regret :
Bientôt il nous ennuie, et même nous irrite.
Au-delà de ces murs, importune limite,
On imagine encor de plus aimables lieux,
Et l’esprit inquiet désenchante les yeux.

Quand toujours guerroyant vos gothiques ancêtres
Transformoient en champ-clos leurs asiles champêtres,
Chacun dans son donjon, de murs environné,
Pour vivre sûrement, vivoit emprisonné.
Mais que fait aujourd’hui cette ennuyeuse enceinte
Que conserve l’orgueil et qu’inventa la crainte ?
À ces murs qui gênoient, attristoient les regards,
Le goût préféreroit ces verdoyants remparts,
Ces murs tissus d’épine, où votre main tremblante
Cueille et la rose inculte et la mûre sanglante.