Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/169

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Les sourcils d’Even se froncèrent violemment, mais, se dominant, il dit avec froideur :

— Dis plutôt que tu lui as imposé tes idées impies, car je sais que cette pauvre mère n’a jamais renié son Dieu… Laisse passer M. le Curé.

— Jamais !…

D’un mouvement vif, Even lui saisit le bras, et sa poigne vigoureuse la maintint contre la muraille malgré sa résistance.

— Passez, monsieur le Curé, dit-il respectueusement, et veuillez excuser cette inconcevable scène.

Une fois le prêtre disparu dans la chambre, il lâcha le bras de sa sœur… Une fureur sans nom contractait les traits de Georgina et allumait d’effrayantes lueurs dans ses yeux gris. Elle se démasquait enfin, dépouillant son apparence charmeuse pour laisser voir le sombre abîme de son cœur.

— Tu es le plus fort aujourd’hui, mais j’aurai ma revanche, dit-elle d’un ton bas, vibrant de menace et de haine. Tu sauras alors ce qu’il en coûte d’être contre moi.

— En tout cas, j’ai pu apprécier ce qu’il en coûte d’être avec toi, répliqua-t-il avec amertume. Depuis le jour où tu me décidas, à force de flatteries et de mensonges, à te suivre à la villa Maublars, j’ai ressenti tous les abaissements et toutes les angoisses que peut éprouver un cœur humain. Désormais je te connais, Georgina.

Un rire cynique s’échappa des lèvres de Mme Orzal.

— Non, tu ne me connais pas encore, mon frère, et j’espère te le montrer quelque jour. En attendant, je te laisse dans cette atmosphère religieuse qui doit te paraître un peu étouffante, me semble-t-il, après tant d’années d’oubli. Cette petite Alix a bien manœuvré…

— Oui, parfaitement, et son arrivée a été une bénédiction pour cette triste demeure.