Page:Delly - Dans les ruines, ed 1978 (orig 1903).djvu/75

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ne m’en froissait pas, car nous avions eu, dès notre enfance, une réciproque et irréductible antipathie…

Mais mon oncle Hervé se faisait de jour en jour plus bizarre et, finalement, il cessa de nous voir, en forçant sa femme à l’imiter. Désormais, la pauvre tante ne sortit plus du manoir et, l’année suivante, nous apprîmes qu’elle avait perdu la raison. Sans doute son esprit faible et passif n’avait pu résister au chagrin du départ de sa fille préférée et à la tyrannie exercée par Georgina… Depuis lors, je n’ai plus remis les pieds à Bred’Languest ni aperçu mes parents. Comme vous avez pu le constater, ils vivent tous en païens, depuis mon oncle jusqu’à Fanche. Seule Mathurine a conservé quelques habitudes religieuses… Avec l’infernale habileté dont elle dispose, et sous l’influence d’un odieux sectaire, la malheureuse Georgina s’est efforcée d’ôter la foi de leur cœur à tous. Elle y a réussi, même pour Even, si pieux autrefois…Pauvre Even !

Elle essuya une larme et serra fortement entre les siennes la main d’Alix.

— Veillez bien sur vos frères, ma petite fille…Qu’elle ne les perde pas comme elle a fait d’Even… À seize ans, il était l’être le plus charmant qui se pût rêver. Distinction, élégance de manières, beauté fière et déjà virile, regard ardent, enveloppant comme une flamme et parfois doux comme une caresse, tels étaient ses dons physiques, surpassés encore par son admirable intelligence et par la bonté délicate, les généreux élans de son cœur… Et quels sentiments élevés, quelle gaieté charmante !…

— Oh ! ma cousine, ce n’est plus lui !…

— Hélas ! ma pauvre enfant !… Mais je l’ai connu tel, et il était ainsi dans l’épanouissement de sa seizième année, lorsqu’il vint nous voir aux vacances qui suivirent le départ de votre mère… À notre profonde surprise, aussitôt que mon père com-