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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/10

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au canada et chez les peaux-rouges

Des incidents nombreux et variés, d’un ordre purement intérieur, égayent quelque peu les passagers, les agitent même parfois, quand les flots de l’Océan ne se chargent pas de ce soin. La traversée se ressent de la précipitation avec laquelle le voyage a été préparé et l’embarquement effectué. Les passagers sont plus qu’au complet dans les cabines, qui ont toutes indistinctement l’étiquette de 1re classe, mais ce n’est, hélas ! qu’une étiquette. Les vivres sont en abondance dans la cambuse, il y en a même jusque dans les canots de sauvetage, mais malheureusement ils y restent, inconnus même et surtout de ceux qui sont chargés d’en faire la distribution. La table du Damara, sans ressembler toutefois au radeau de la Méduse, souffre quelquefois de ce vice d’organisation. Un beau jour c’est le boulanger du bord qui fait grève, et le pain manque totalement ; force est de manger du biscuit, dur comme de la pierre. Une autre fois c’est le tour du cuisinier, et l’on ne vit que de conserves. Puis c’est l’agent de la compagnie de navigation, qui, ne pouvant s’entendre avec le capitaine Mac Mullen, ni en direction, ni même en langage (celui-ci ne s’exprimait qu’en anglais, celui-là n’en connaissait que quelques mots), donne sa démission de commissaire de bord. Les passagers inquiets se réunissent en grand conseil et, avec l’assentiment du capitaine, choisissent un des leurs, M. Ch. de Bouthillier, pour donner l’impulsion nécessaire au service si mal fait des cabines et de la table. Tout marche alors à merveille. Le service devient ponctuel, les garçons polis, la table presque succulente. Mais hélas ! ce paradis terrestre ne dure que vingt-quatre heures, car le capitaine prend à son tour la direction du service intérieur. Le régime du self government a vécu !

Malheureusement pour les passagers, ce brave Mac Mullen, excellent homme au fond, surtout lorsqu’il n’est ni sous l’influence de la colère, ni sous celle des petites liqueurs, s’en repose, pour le service, sur le steward, petit cuistre de 20 ans, aussi négligent que mal appris et que les passagers ont trop souvent besoin de remettre à sa place. De son côté le roulis profite de ce que la cale du paquebot manque tant soit peu de fret pour obliger le bâtiment à se livrer à des ébats peu agréables pour les passagers et à prendre à bâbord, sous l’influence de la voile, une inclinaison exagérée. Mais les distractions et les amusements de la jeunesse réagissent contre les petites misères du bord. La musique,