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autrefois et aujourd′hui

pour ainsi dire presque honorifique. Le gouverneur représente la Reine, reçoit les hommages, donne des fêtes, et c’est tout. Enfin, les Canadiens se sont octroyé un drapeau spécial en appliquant sur les couleurs anglaises les armes des provinces canadiennes. Le nouvel État a pris le nom de Dominion ou Puissance du Canada.

Grâce à cette organisation fort ingénieuse, le Canada retire de cette situation tous les avantages que comporte la protection du pavillon britannique sans en avoir les inconvénients. Non seulement la souveraineté morale de l’Angleterre est pour lui une source de force et de prestige, mais encore la flotte britannique, qui rayonne sur toutes les mers, est pour lui un appui précieux, et le fait que les représentants diplomatiques et consulaires de l’Angleterre sont également les siens épargne au budget du Canada de lourdes charges.

Et qu’on ne croie pas que le Canada ait hâte de rompre le faible lien qui le rattache à l’Angleterre. Tout au contraire. Le Canada qui, comme le charbonnier, est maître chez lui, aurait tout à y perdre et rien à y gagner. Quelle serait, en effet, sa situation à lui, pays de quatre millions et demi d’habitants, vis-à-vis des États-Unis et de ses soixante millions d’âmes ? Ne risquerait-il pas un jour ou l’autre d’être absorbé par la grande république, de voir son autonomie détruite et ses intérêts gravement lésés ? Les Canadiens-Français souffriraient particulièrement de ce changement de régime, car ils devraient renoncer pour toujours à obtenir une suprématie qu’ils ont l’espoir justifié de pouvoir reconquérir un jour. Là est le secret de leur loyauté, de leur attachement même à la couronne britannique, tout autant que la liberté dont ils jouissent. C’est ce qui fait comprendre ces paroles d’un homme d’État canadien, sir Étienne Taché : « Le dernier coup de canon pour la défense de la domination anglaise en Amérique sera tiré par les Canadiens-Français. »

Et, chose digne de remarque, ce ne sont pas les Canadiens qui ont poussé l’Angleterre à se détacher presque complètement de leurs affaires. C’est l’Angleterre elle-même qui, de son propre mouvement, dans un esprit d’économie, et suivant en cela les théories d’une certaine école, s’est peu à peu désintéressée du Canada, et, plus l’Angleterre retirait sa main de ce pays, plus ce dernier faisait d’efforts pour la retenir. Cette école, dont M. John Bright était un des plus ardents champions, et dont