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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/200

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AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

de faciliter la manœuvre dans les parages difficiles que nous allons avoir à franchir pour entrer en Colombie par la passe du Cheval-Qui-Rue (Kicking-Horse Pass). La montée est toujours peu sensible et rappelle d’autant plus celle de la Manche, en se rendant de Madrid à Cordoue, que, comme celle-ci, elle est suivie d’une brusque et rapide descente. Le défilé se forme peu à peu près de Stephen, et se resserre pour arriver à Hector, point culminant de la ligne à 1,800 mètres d’altitude. Puis, subitement, on s’aperçoit que l’on vient de franchir la ligne de partage des eaux. Un ruisselet, qui bientôt devient torrent, se fraye un passage vers l’océan Pacifique dans un défilé abrupt où le chemin de fer a peine à trouver place. Mais bientôt le torrent se creuse un chemin de plus en plus profond au milieu des rochers et ses eaux, sans cesse rebondissantes, transforment son lit en une mousse argentée. Nous sommes en pleine forêt d’arbres verts et, pour la première fois, les sapins se présentent sous un aspect majestueux.

Tout à coup le torrent s’affaisse et se dérobe au regard, pour ne plus laisser apparaître au-dessus du précipice qu’un de ces grands ponts de bois, aux piles à claire-voie, dont le tablier a juste la largeur nécessaire pour recevoir les deux lisses (rails) de la voie ferrée. De ce point, le regard plonge à grande distance sur le ravin qui s’ouvre et s’élargit dans des proportions considérables. En levant les yeux, on se trouve face à face avec d’énormes parois de rochers et, par-dessus le faîte ondulant des sapins, on devine au loin la vallée dans laquelle on va déboucher. Le spectacle est aussi sauvage que grandiose et digne de toute admiration.

La descente est raide, car il faut racheter une différence de niveau de plus de 900 mètres sur un parcours de 19 kilomètres. Le train marche avec une sage lenteur, en rasant le rocher, qu’il a fallu entailler à vif à maintes reprises. Par instants la voie est tellement sur le bord du précipice qu’un regard mal assuré serait susceptible d’engendrer le vertige. Sur divers points, le flanc rocailleux de la montagne n’offrant aucune résistance, il a fallu arc-bouter des traverses en bois qui surplombent le précipice au-dessus duquel roule le train. On ne peut vraiment qu’admirer, mais non sans quelque effroi, la hardiesse des ingénieurs et des constructeurs du chemin de fer.

À plusieurs reprises un embranchement se détache de la voie et