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autrefois et aujourd′hui

« De Gaspé à Prescott, écrit M. Sulte, il ne varie pas, et, ce qui est au moins aussi singulier, c’est que, à l’ouest de la province d’Ontario, dans le comté d’Essex, par exemple, où nos gens sont si nombreux, le langage est le même que sur les rives du Saint-Laurent et de l’Ottawa. Il est le même dans les États-Unis, partout où nous sommes répandus…

Pourquoi n’avons-nous pas de mots de patois ?

Dans ces premiers temps (xviie siècle), l’influence des directeurs et directrices de nos institutions publiques a été décisive. Écoles, hôpitaux, séminaires, cures, avaient à leur tête des hommes et des femmes très instruits, venant de toutes les parties de la France, et qui, en très peu de temps, eurent fondu les accents de leurs administrés en un seul corps où domine nécessairement le normand, mais où les accents de Chartres, de Tours et des Charentes prirent aussi une belle part. Ces professeurs, ces curés, apprenaient aux petits Canadiens à bien parler, à bien prononcer, à bien saisir le génie de la langue française. Quelles conditions plus favorables peut-on exiger pour atteindre à l’uniformité et à l’exactitude du langage chez le peuple ? »


Quelques voyageurs et écrivains français visitant le Canada ont jugé assez sévèrement le pays au point de vue du langage. Ils ont eu tort, car ils n’ont pas tenu suffisamment compte de l’abandon dans lequel avait été laissé le peuple canadien et du contact permanent d’une autre langue qu’on cherchait à lui imposer. Le Canadien traîne les mots en parlant et se sert de certaines expressions et de quelques tournures de phrases qui découlent évidemment de la langue anglaise. Le paysan, l’habitant, pour employer l’expression canadienne, a parfois un langage un peu altéré. Mais au lieu de constater et d’enregistrer le fait purement et brutalement, que ne compare-t-on avec la mère patrie, que ne met-on en parallèle et les efforts faits et les résultats obtenus ? On verra alors de quel côté se trouve la supériorité.

Si le Canadien a souvent un langage traînard et monotone, quelle surprise n’éprouvera-t-on pas en France en entendant parler successivement un Normand, un Gascon et un Provençal ?

Si l’habitant canadien se sert parfois d’expressions surannées ou de mauvais français, que ne dira-t-on pas alors des paysans français, car il faut comparer les classes entre elles, et ne pas conclure, en entendant parler les gens du peuple, que c’est là le langage de la société ? Dans tous les pays du globe, le langage du peuple est défectueux, et ce n’est pas uniquement sur ce langage qu’un voyageur doit baser ses observations.