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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/22

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au canada et chez les peaux-rouges

Si un étranger parcourait nos campagnes et jugeait la langue française sur le langage des paysans, à quelles conclusions surprenantes n’arriverait-il pas ? Laissant de côté les anciennes provinces où un patois est, trop souvent encore, la langue la plus usitée, que de défaillances de langage ne trouve-t-on pas dans des régions qui ont, bien à tort, il est vrai, la réputation d’être celles où la langue française se parle le mieux ! Dans le Blésois, le Vendômois, par exemple, c’est-à-dire en plein cœur de la France et de la vieille monarchie française, que de fois n’ai-je pas entendu prononcer par des paysans des phrases dans le genre de celles-ci : Quéque tu ieu (leur) za dit ? — J’êtions bein allé à la rivière mener les vaches buve, » et autres barbarismes à faire dresser les cheveux sur la tête d’un linguiste. Avec quelques comparaisons de ce genre-là on sera vite amené à reconnaître que, non seulement le langage de l’habitant canadien n’a rien de si défectueux, mais encore, comme dit M. Chauveau, qu’il est bien supérieur à celui de la masse des paysans français.

Il faut reconnaître aussi que la culture de l’habitant canadien est supérieure à celle du paysan français en ce qui concerne la langue française. En outre, excepté dans quelques comtés de la province de Québec, où le français est exclusivement employé, tous les Canadiens-Français parlent la langue anglaise, ce qui relève singulièrement leur niveau intellectuel. Il n’est pas inutile de faire remarquer que chez les Canadiens-Anglais le même phénomène ne se produit pas. Là où la population est en très grande majorité anglaise, on ne sait pas un traître mot de français. Il en est à peu près de même dans les régions où les deux races sont également mélangées. Ce n’est que dans les contrées où ils sont incontestablement en minorité que les Anglais daignent apprendre et parler notre langue. Quand un Canadien-Français et un Canadien-Anglais se rencontrent, neuf fois sur dix la conversation a lieu en langue anglaise, car sans cela, elle accuserait une infériorité par trop accentuée pour le sujet anglais, ou elle serait même matériellement impossible. C’est ce qui explique pourquoi, dans des villes d’origine toute française, le bruit d’une conversation en anglais vient, plus fréquemment que l’on ne s’y attend, frapper et surprendre votre oreille.

Si, dans la société canadienne française, le langage n’a pas ce laisser-aller que l’on rencontre parfois chez les habitants des campagnes,