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Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/211

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COLONISATION FRANÇAISE ET AVENIR

culte de la France et qui le recevra à bras ouverts. Aux États-Unis, au contraire, par suite de la cherté de la vie, de la différence de langue, du peu de sympathie de la majorité de la population pour la France, l’émigrant aura à surmonter des difficultés autrement plus grandes qu’au Canada pour se créer un établissement.

Enfin une raison d’ordre supérieur existe encore. L’émigrant français fixé aux États-Unis sera noyé dans la masse des Anglo-Saxons et finira, malgré sa résistance, par être anglicisé, tandis qu’au Canada non seulement il conservera le cachet de sa race, mais encore il apportera un renfort appréciable à l’élément canadien-français, qui lutte pacifiquement pour conquérir la suprématie du nombre, et qui, avec le temps et le ralentissement fatal de l’émigration britannique, finira par y arriver, si sa fécondité naturelle se maintient sur le même pied.

L’émigration au Canada aura donc pour effet de renforcer notre race et de répandre davantage notre langue. Or ce résultat n’aura-t-il pas pour conséquence d’agrandir notre domaine économique, scientifique et littéraire et d’accroître le nombre des clients de la patrie française ? Celui qui est de race française, ou simplement même parle la langue française, n’est-il pas tributaire plus ou moins de notre pays au double point de vue matériel et intellectuel ? C’est donc faire œuvre nationale que de contribuer au maintien d’abord, et au développement ensuite, de la race et de la langue françaises.

De ce que l’émigration au Canada est digne d’encouragement, il n’en faut pas conclure qu’elle le soit pour tout le monde. Elle convient à ceux qui, possesseurs d’importants capitaux viendront y fonder de grands établissements industriels, commerciaux ou agricoles. Quant aux émigrants n’ayant que de faibles économies, ils pourront réussir au Canada, à la condition de s’adonner à l’agriculture ou à l’élevage. En dehors de ces deux branches de travail on ne saurait que déconseiller l’émigration à ceux qui n’auraient pas par avance une situation assurée. Ceci s’applique aux artisans et surtout à ceux qui, d’une façon quelconque, tiennent aux professions libérales. Ce sont là des positions véritablement encombrées et, pour ne citer qu’un exemple, il est certains quartiers de Montréal où il est impossible de circuler sans voir à chaque tournant de rue une enseigne d’avocat, ou plutôt une double enseigne, car les avocats canadiens sont généralement associés deux par deux.