Page:Demanche - Au Canada et chez les Peaux-Rouges, 1890.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

Au lever du soleil notre vapeur, l’Union, se trouve au mouillage de Saint-Alphonse, dans la baie des Ha ! Ha ! formée par une dépression du Saguenay. En remontant cette rivière, si on s’engage dans un large chenal, qui a toutes les apparences d’un grand cours d’eau, on se trouve presque subitement arrêté dans une impasse, au grand étonnement de ceux qui y entrent pour la première fois. De là vient, sans doute, le nom original des Ha ! Ha ! répondant à l’exclamation que poussèrent les premiers explorateurs qui pénétrèrent dans ces parages.

Peu après on arrive à Chicoutimi, où touristes et passagers mettent pied à terre. Parmi ces derniers se trouve le lieutenant-gouverneur de la province de Québec, M. Masson, qui se rend au lac Saint-Jean pour visiter les travaux de défrichement. De ce côté on rencontre encore des Montagnais qui ont pu conserver leur langue et leur costume. Combien d’années encore en sera-t-il ainsi ?

Bien que ville encore nouvelle, car la colonisation du Saguenay ne date que d’une vingtaine d’années, Chicoutimi est déjà doté d’un évêché et d’établissements importants. Il s’y fait surtout un grand commerce de bois. Tout près de la ville se trouve une grande scierie à vapeur appartenant à M. Price. Cet établissement, qui emploie 250 ouvriers, est en activité nuit et jour, mais pendant sept mois seulement, car dans la saison d’hiver le Saguenay et le Saint-Laurent sont pris par les glaces.

Pour se rendre à la scierie, je fais usage d’une planche. C’est une voiture à quatre roues, sans ressorts, qui descend au grand trot les pentes les plus rapides. On est secoué d’importance sur les coussins rien moins que moelleux que ce véhicule. C’est le seul en usage dans le pays et la simplicité n’en fait pas le charme.

Situé dans un des replis du Saguenay, Chicoutimi est fort pittoresquement placé. C’est de ce point que, revenant sur nos pas, nous commençons la descente du Saguenay, descente qui ne dure pas moins de six heures. Le paysage est toujours sévère et le vapeur défile constamment entre deux murailles de rochers, tantôt revêtues d’un maigre lichen, tantôt couvertes de jeunes sapins. On ne voit pas de vieux arbres, car tous les bois ont été détruits il y a quelques années par un incendie terrible qui n’a pas duré moins de huit jours. Le spectacle était grandiose et des légions de touristes accouraient pour le contempler.