un programme largement démocratique ([1]), se heurta, même parmi les groupements de la droite, à la critique et au mécontentement, mais non à une opposition active ([2]). Dans les quatre ou cinq mois qui suivirent le commencement de la révolution, il n’y eut, dans tout le pays, aucune organisation contre-révolutionnaire tant soit peu sérieuse. La recrudescence d’activité ou la constitution d’autres groupements clandestins, composés principalement d’officiers, se rapporte au mois de juillet et se rattache à l’idée de la dictature. Certes, parmi les membres de ces groupements, il y avait pas mal de partisans très prononcés de l’idée de la restauration ; cependant, les groupements eux-mêmes se proposaient surtout la lutte contre le gouvernement de classe, pouvoir occulte, et contre la composition personnelle du Soviet et du Comité Exécutif dont les membres auraient été en effet menacés d’être matériellement supprimés si les groupements en question ne s’étaient pas prématurément désagrégés à cause de leur faiblesse numérique, de leur impuissance et de leur manque d’organisation.
Tout en s’opposant continuellement à cette contre-révolution de droite, le Soviet laissait librement s’accomplir tous les préparatifs d’une véritable contre-révolution, issue de son sein, des rangs des bolcheviks.
Je me rappelle les premiers entretiens à propos de la dictature, espèce de sondage du terrain, qu’eurent avec moi diverses personnes qui étaient venues au Grand Quartier vers le commencement de juin. Tous ces entretiens étaient tellement semblables les uns aux autres que je peux en résumer la teneur en quelques mots :
— La Russie marche infailliblement à sa perte. Le gouvernement est absolument impuissant. Il faut un pouvoir ferme. Tôt ou tard, il nous faut passer à la dictature.
Personne ne parlait ni de restauration ni d’un changement de l’orientation politique dans le sens de la réaction. On prononçait le nom de Kornilov, de Broussilov…
Je mettais mes interlocuteurs en garde contre une solution trop hâtive de cette question. J’avoue que je conservais encore quelques illusions : j’espérais encore qu’à force d’évolution intérieure, soit sous l’influence d’une nouvelle manifestation armée des éléments extrémistes et anti-étatistes qu’il protégeait, soit pour avoir compris l’inefficacité et le fiasco de son administration, le gouvernement finirait par comprendre lui-même la nécessité de créer un pouvoir unipersonnel et de lui conférer en quelque sorte un caractère légal. En dehors de cette légalité, l’avenir apparaissait gros de bouleversements menaçants. J’observais qu’il n’y avait pas, en ce moment,