Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/136

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prétées comme elles devaient l’être. Au commencement d’août, au congrès de Moscou qui devint l’instrument des partis socialistes de gauche, un des leaders principaux déclara que « l’Union des Cheminots devait être absolument autonome et qu’aucun pouvoir, sauf les cheminots eux-mêmes, n’avait le droit d’intervenir dans leur vie… » Bref, la séparation d’avec l’État.

Ce fut le commencement de la débâcle. Dans le mécanisme rigoureusement précis des services des chemins de fer, se trouvait introduit, tant au centre que sur la périphérie, un élément inouï d’arbitraire dû à la composition fortuite des organisations, basées sur le principe de majorité et non sur l’expérience et le savoir faire. Je comprends la démocratisation qui consiste à rendre largement accessibles aux masses populaires la science, la technique, l’art, mais je ne conçois pas la démocratisation de ces conquêtes de l’esprit humain.

Ce fut la disparition de tout pouvoir, de toute discipline du travail. Dès le mois de juillet le Gouvernement estima que la situation des chemins de fer était catastrophique.

Après être resté pendant quatre mois à la tête de l’administration des transports, Nekrassov quitta ce poste pour s’occuper des finances, dont il ignorait le premier mot. Son successeur aux transports, Yourénev, entreprit une lutte contre l’usurpation du pouvoir par les cheminots, considérant que « l’ingérence des personnes et des organisations privées dans les fonctions administratives d’une institution gouvernementale était un crime contre l’État ». La lutte était conduite à l’aide des méthodes ordinaires du Gouvernement Provisoire et ne pouvait reconstituer ce qui était irrévocablement perdu. Aussi, à la conférence de Moscou, le président de l’Union des cheminots, conscient de sa puissance et de son influence, déclara-t-il que la lutte entreprise contre les organisations démocratiques était une manifestation contre-révolutionnaire et que l’Union la combattrait par tous les moyens sans exception, sûre « de trouver la force d’étouffer l’hydre de la contre-révolution ».

On sait que, par la suite, le « Vikgèle », devenu une organisation essentiellement politique, livra Kornilov à Kérensky et Kérensky à Lénine et que ce fut lui qui, avec un zèle digne de l’ancienne Sûreté générale, organisa la « poursuite » des captifs évadés de Bykhov ([1]), pour aboutir à une mort sans gloire dans l’étau de la centralisation bolcheviste.

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Reste encore un élément de l’économie nationale, les finances. Si l’on peut attacher quelque importance à un plan financier normal, celui-ci dépend entièrement de toute une série de facteurs

  1. Kornilov et ses amis. (Note du traducteur).