batterie de campagne avait ordonné de tirer sur une nouvelle ligne de tranchées allemandes, notre infanterie ouvrit la fusillade contre son propre poste d’observation ; un téléphoniste fut blessé. Et la même nuit, les soldats du régiment d’infanterie allumèrent un grand feu sur l’emplacement de la batterie de gros calibre nouvellement arrivée… ([1]).
Il est maintenant 9 heures du matin. La première compagnie se réveille et se lève peu à peu. Les tranchées sont affreusement sales et pleines d’ordures ; dans les étroits passages de communication et dans les tranchées de seconde ligne, où les soldats sont entassés en plus grand nombre, l’air est vicié, étouffant. La terre du parapet s’éboule. Personne ne pense à réparer le mal — on n’en a pas envie et puis, il ne reste que peu de soldats dans la compagnie. Il y a de nombreux déserteurs ; plus de cinquante hommes sont partis légalement : les plus vieux ont été licenciés, ceux qui désiraient des permissions les ont obtenues de par l’autorisation arbitraire du comité ; d’autres devinrent eux-mêmes membres des innombrables comités ou bien encore firent partie des diverses délégations. Dernièrement, par exemple, une nombreuse délégation s’était rendue, de la part de la division, auprès du camarade Kérensky pour vérifier s’il avait réellement ordonné l’offensive ; enfin, à force de menaces et de violences, les soldats terrorisaient à tel point les médecins des régiments que ceux-ci délivraient des certificats de congé même aux « gravement bien portants… »
Les heures se traînent vides, accablantes. On s’ennuie, désœuvré. Dans un coin, on joue aux cartes ; dans un autre, un soldat qui vient de rentrer de permission raconte quelque chose mollement, sans entrain ; l’air résonne de gros mots. Un autre soldat lit à haute voix le « Messager russe » :
« Les Anglais veulent que les Russes versent leur dernière goutte de sang pour la plus grande gloire de l’Angleterre, qui recherche avant tout son profit… Nos chers petits soldats, vous devez savoir que la Russie, depuis longtemps, aurait conclu la paix, si l’Angleterre ne l’en avait empêchée. Nous devons nous en détourner complètement ; c’est le peuple russe qui le veut ; telle est sa sainte volonté… »
Quelqu’un laissa échapper un grossier juron.
— Ah bien fichtre oui, faire la paix… on crèvera ici sans avoir revu la liberté…
Le lieutenant Albov qui commandait la compagnie, passait le long des tranchées et d’un ton indécis, presque suppliant, s’adressait aux groupes des soldats :
— Camarades, vite au travail. De trois jours nous
- ↑ Il est à noter que les régiments techniques, et en particulier l’artillerie, gardèrent jusqu’au bout une attitude plus digne et maintinrent dans leurs rangs une certaine discipline.