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peureux et trop pusillanimes pour oser les porter à la connaissance de la loi. Ce ne sont qu’enfants enfermés, privés d’air, de jour, de nourriture, accablés de coups et dont le corps est couvert d’ecchymoses. Ce ne sont que les forfaits absolument éclatants qui arrivent à nous, le reste nous échappe. Et ce reste est odieux, si odieux, que la statistique des enfants suicidés monte chaque année à un chiffre qui nous plonge dans les plus amères réflexions.

Pour qu’à un âge aussi tendre, à une époque de la vie où l’on est si léger, si insouciant, où les impressions sont si mobiles, on en arrive à un dénouement aussi tragique, il faut vraiment que les motifs de désespoir soient bien horribles.

N’est-il pas bien naïf, du reste, de s’imaginer que la paternité a la vertu inévitable de transformer complètement un individu, de faire disparaître ses défauts, ses passions, ses vices ? L’ivrognerie, la paresse, le jeu, le goût du plaisir, la prodigalité, la débauche sont autant de destructeurs de l’instinct paternel. Et, à défaut de ces infirmités morales, la misère suffirait à elle seule. Elle est le plus actif dissolvant des rapports de la famille. Les privations continues dégénèrent en souffrances aiguës, elles irritent et rendent injustes.

Dans ces intérieurs délabrés, sordides, une naissance équivaut à une catastrophe. Cette fête de la vie, loin de donner lieu à des transports de joie, n’est accueillie qu’aveu des imprécations. On était misérable à trois, à quatre, que sera-ce à cinq, à six ! C’est la faim, c’est le froid, c’est le dénuement dans toute sa hideur.

Ne pensez vous pas que, dans de semblables conditions, l’enfant étant considéré comme une aggravation de peines et de maux, il ne soit en butte à des repro-