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ève

manque dans la famille, la société doit la lui fournir. La société n’a pas compris cela ; elle s’est forgé, comme à plaisir, un obstacle infranchissable dans l’autorité paternelle. Elle pratique, à son égard, le large laissez-faire et le plus vaste laissez-passer ; elle tient à la respecter quand même et lorsque celle-ci ne se respecte même pas. C’est en vain que les faits lui crèvent les yeux ; c’est en vain qu’elle est témoin des sévices les plus graves : elle s’abstient.

Mais ce qui dénonce l’insincérité des agissements de la susdite société, c’est que, toujours dans la crainte, soi-disant, de porter atteinte à la liberté des familles, quand il s’agit de sauvegarder l’enfant et de le préserver d’une chute imminente, cette crainte disparaît tout aussitôt dès qu’il n’est plus question que de le frapper, de le punir et de le flétrir.

Alors l’État se substitue violemment à la famille, sans qu’elle ait droit de réclamer. Il est un cas où cette conduite de l’État est la plus abusive et la plus révoltante : c’est quand il ose imprimer au front d’une mineure les stigmates définitifs de la plus basse abjection.

Quoi ! une enfant de seize ans, une adolescente qui ne jouit pas de ses droits, qui, logiquement, ne peut être entièrement responsable, une fillette qui a été pervertie par la corruption de la famille, de l’atelier, de la rue, souvent de toutes les trois à la fois ; quoi ! cette malheureuse se voit incorporée de vive force dans l’immonde cohorte !

On la condamne à quoi ? — à continuer la honte, à réitérer, par métier, par profession, le délit qu’elle n’a pu commettre que dans un instant de délire et d’égarement passagers !

Et c’est ainsi que 18 à 20,000 mineures peuplent ces