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Page:Des Murs - Oiseaux de proies nocturnes ou strigidés, 1864.djvu/6

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les trois règnes.

droite, multiplie les ascensions et les culbutes, ne cherchant qu’à prendre le dessus sur ses adversaires, de manière à les saisir par le dos. Blessé d’un coup de feu dans les ailes et forcé de s’abattre, il imite le stratagème du Blaireau assailli par de nombreux ennemis et décidé à vendre très-chèrement sa vie. Il se renverse sur le dos, attend les Chiens, la serre ouverte et haute, et exécute avec son bec une sorte de moulinet à quatre faces qui protège tout son corps. Tous ses mouvements étranges sont accompagnés de roulements d’yeux féroces et d’une espèce de jeu de castagnettes avec son bec. Cet organe est en effet mobile dans ses deux parties, comme le bec des Perroquets ; et c’est par la facilité de ces deux mouvements que les nocturnes font si souvent claquer ainsi leur bec. Pour prouver la supériorité : de cette défense, il suffira de dire que Toussenel a vu plus d’une fois le chien d’arrêt le plus impétueux se calmer spontanément à la vue des préparatifs de défense du Grand-Duc, et devenir très-prudent.

Les fauconniers se servaient autrefois du Grand-Duc pour attirer le Milan : on attachait au nocturne une queue de Renard, pour rendre sa forme plus extraordinaire ; il volait à fleur de terre, et se posait dans la campagne, sans se percher sur aucun arbre ; le Milan, qui l’apercevait de loin, arrivait jusque sur lui et laissait aux chasseurs le temps de lui jeter deux ou trois Faucons.

Dans le voisinage des grandes faisanderies, on place généralement un Duc dans une cage élevée sur un poteau, pour attirer les oiseaux de proie, et permettre au garde de les détruire à coup sûr. Le Grand-Duc est aussi employé pour la chasse à divers oiseaux. L’oiseleur l’attache à un pieu planté dans le sol, et se cache à une petite distance, dans une hutte de terre pourvue de meurtrières. Bientôt les Corbeaux, les Pies, les Faucons, etc., s’assemblent en troupe autour du captif, et se livrent ainsi eux-mêmes au plomb du chasseur.

Le Grand-Duc se soumet assez bien à la captivité : on sait que c’est, de tous les nocturnes, celui que les marchands ambulants, préfèrent pour fixer l’attention des passants, on obtient même de lui, en certains cas, une véritable domestication. Il sort de la maison de son maître et va s’établir à peu de distance, sur le haut d’une cheminée ou, au milieu des branches d’un arbre touffu ; puis il revient chaque fois qu’on l’appelle par le nom auquel on l’a habitué et quand il veut manger. Si un inconnu pour lui veut l’agacer, il commence par enfler ses ailes et toutes ses plumes d’une façon vraiment curieuse ; il tourne lourdement la tête et tout le corps à la fois à droite et à gauche, en soufflant horriblement et en faisant claquer son bec. Enfin, il lance à celui qui l’approche des coups de bec et de serres. On peut, lorsqu’il est bien apprivoisé, le laisser jouir d’une assez grande liberté. Une paire de ces magnifiques oiseaux existait encore, il y a une dizaine d’années, à Arondel-Castle, comté de Sussex, dans une condition peu différente de l’état de nature. Ils habitaient un espace considérable, bordé par les murs du donjon, murs épais, couverts de lierre, et dans les profondes fissures desquels ils se retiraient pendant le jour, et d’où ils sortaient quand venait le soir. Ces animaux, dans leur prison, avaient accompli les devoirs de l’incubation et élevé leurs petits : seul exemple, croyons-nous, d’oiseaux de proie nocturnes couvant en captivité ; car des tentatives semblables n’ont jamais réussi, pas plus au Jardin des Plantes de Paris qu’au Jardin zoologique de Londres, qui compte cependant tant de succès en ce genre.

Frisch raconte qu’il a eu deux fois des Grands-Ducs vivants, et qu’il les a conservés longtemps ; il les nourrissait de chair et de foie de bœuf, dont ils avalaient souvent de fort gros morceaux. Lorsqu’on jetait des Souris ou des Rats à ces oiseaux, ils leur brisaient les côtes et les autres os avec leur bec, puis ils les avalaient. Quelques heures après, ils rejetaient par le bec une pelote composée des poils et des os non digérés. À défaut d’autre pâture, ils mangeaient des poissons, et rejetaient après une pelote composée des arêtes et des écailles. Ils ont vécu sans boire, et cette observation s’applique aussi à quelques autres oiseaux rapaces diurnes.

La domesticité cependant n’adoucit pas toujours les mœurs sauvages de cet oiseau ; témoin le fait suivant, rapporté par Toussenel : Un procureur du roi de l’Aveyron nourrissait un Grand-Duc, il y a de cela près de vingt ans. Des gens de la campagne lui apportent deux jeunes de la même espèce couverts encore de leur premier duvet. Le magistrat confia à tout hasard l’éducation de ces jeunes prisonniers à son pensionnaire, qui était un mâle, et qui s’acquitta des devoirs de sa charge avec un zèle tout maternel et digne d’un meilleur sort ; car le premier essai que les deux élèves, parvenus à l’adolescence, firent de leur force, fut de tuer le père nourricier pendant son sommeil et de le dévorer. Bientôt après, le plus fort des deux, la femelle, tua son frère, et le mangea sans considération. Le procureur, effrayé de tant de perversité dans un âge aussi tendre, et ne pouvant plus désormais supporter la vue de la scélérate Duchesse, s’en défit en faveur d’un savant de ses amis qui habitait Toulouse, et qui était précisément en quête d’une épouse pour un jeune mâle qu’il avait élevé. La présentation se fit sous les plus favorables auspices ; mais l’habitude est une seconde nature, et il n’y avait guère à espérer que celle qui avait débuté dans la vie par le parricide et le fratricide reculât devant un nouveau crime. En effet, elle saisit la première occasion de tuer son époux. L’histoire ajoute qu’elle ne jouit pas longtemps du fruit de ses forfaits, et qu’elle mourut peu de jours après son dernier attentat, non de remords, mais d’un boyau de veau trop long qu’elle ne put avaler, et qui l’étouffa.

Le Grand-Duc donne souvent la preuve de son attachement pour ses petits. Le docteur Stanley, évêque de Norwich, parle d’une paire de ces oiseaux qui portaient toutes les nuits une pièce de gibier à un de leurs petits