Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/253

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jury ne veut pas admettre qu'un statuaire inconnu de lui soit capable d'une telle œuvre. Et puis, aucun, parmi ces gens du métier, ne sait que le moulage sur nature ne donne qu'un ensemble de chairs mortes et de lignes affadies. Auguste Rodin n'a pas de peine à se justifier, et l'affaire ébruitée attire l'attention sur son nom. Si les hostilités se montrent, se montrent aussi des défenseurs. Peu à peu l'artiste sort de l'ombre où il avait vécu jusque-là.


Vient ensuite un Saint Jean-Baptiste prêchant. Ici, le statuaire rompt avec toute la tradition de son art ; passionné de nature et d'humanité, son art, initiateur de formes et d'attitudes, s'affirme éloquemment. Son saint Jean est tel que l'avait conçu Gustave Flaubert : une sorte d'anachorète farouche, à la puissante ossature décharnée par les fatigues et les jeûnes. Les flancs se creusent, les reins s'évident, le torse de lutteur amaigri montre la carcasse tourmentée et douloureuse. Il marche à grandes enjambées, très droit sur des jambes nerveuses et des pieds secs que les cailloux et les brûlants sables de la route ont cuirassés de corne. Et, prêchant comme on bataille, il fait un geste violent qui distribue l'anathème. Sa face est tout entière allumée de lueurs mystiques, sa bouche vomit des imprécations. A peine s'il est question de cette œuvre de maître. Paris la voit et ne la regarde pas ; à Londres, où elle est ensuite exposée, du moins on la discute.