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Page:Desbordes-Valmore - Contes et scènes de la vie de famille, tome 2, 1865.pdf/24

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LE PETIT BÈGUE.

— Eh bien oui, quoi ! elle n’est pas bien longue, je crois !

— Elle… elle… elle…

— Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qu’il a donc mangé ? hasarda un malin sous son livre.

Et de rire !

Quand le silence fut rétabli, et l’effroi de René plus glaçant que jamais, il voulut en finir avec son sort, car il croyait toucher au dernier moment de sa vie. Il poussa au dehors ce qu’il crut être son âme, et bégaya :

— On m’a… m’a… m’a…

Ô joie d’école ! ô découverte pleine d’avenir et de moqueries !

René était bègue ! C’était à l’adorer, c’était à n’en plus douter, c’était à frémir d’espérance à chaque parole qui allait prendre une forme inattendue sous cette langue esclave. Les deux blessés furent guéris par la joie que leur causa l’humiliation du jeune infirme, et ils ne cachèrent plus leurs contusions.

Que faut-il vous dire de tout ce que souffrit l’humble et patiente créature, servant de risée à cette petite populace fanfaronne ? c’est à ne pas rendre, c’est à souffrir de se le rappeler, c’est à haïr, si l’on pouvait haïr, ceux qui amassèrent sur lui plus de maux que