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Page:Desbordes-Valmore - Contes et scènes de la vie de famille, tome 2, 1865.pdf/25

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LE PETIT BÈGUE.

l'infortune et la nature, un moment distraite en le formant, n'en avaient laissé cheoir sur l'inoffensif et pauvre garçon ! C'était peu d'être bègue, d'être lent à démêler sa pensée sous les nuages que la raillerie amoncelait autour de sa tête humiliée, il devint presque muet ; car il avait tant de crainte de faire rire en parlant, qu'il ne parlait plus.

Les mots les plus brefs lui causaient des peines infinies à sortir de ses lèvres ; elles tremblaient, s'agitaient à vide, et l'effort inutile produisait une contorsion pénible qui ravissait les lâches oppresseurs de René.

Une douleur vive qu'ils se plaisaient à lui faire sentir tous les matins, sans qu'il osât s'en plaindre, c'était de l'éveiller en sursaut, lui qui avait le sommeil le plus complet de son âge, ce sommeil de marmotte dans lequel toute la vie extérieure est suspendue et cachée, où pas un cheveu ne bouge, et que les mères ont tant peur de troubler ! C'était la joie des lutins rassemblés autour de ce pauvre enfant immobile. Ils poussaient tout à coup une clameur si furieuse dans l'oreille du dormeur, qu'il bondissait hors de son lit, tandis que les écoliers, sans paraître s'occuper de lui, filaient en chantonnant de côté et d'autre. C'était du beau, n'est-il pas vrai !